C’est au comptoir de la Comète que j’ai fini « L’épouvantail »
de Michael Connelly. J’avais mangé un gros sandwich à Montparnasse et je
voulais prendre un café avant de rentrer à la maison pour faire une sieste et
rédiger ce qui aurait du être ce court billet pour une histoire de pieds dans
le TGV mais mon billet a mûri quand je finissais ma bière après avoir tourné la
dernière page.
Je ne sais pas, vous, mais un café à 15h45 heures, ça ne me
disait finalement rien.
Et de toute manière, je suis obligé de passer devant la
Comète pour rentrer à la maison et Clémence, la serveuse, aurait été vexée si
je ne m’étais pas arrêté pour lui dire bonjour. Et puis, merde. Je n’ai pas
besoin de prétexte pour aller à la Comète, pour qui vous vous prenez ? Même
si j’avais du faire un détour, je serais allé à la Comète quand même. Vous
critiquez, mais vous ne connaissez pas les nichons de Clémence.
Même que je suis passé à l’Aéro, aussi, où je voulais
prendre un café mais le patron m’a servi un demi dès qu’il m’a vu.
J’étais arrivé à la page 465 sur 520. Je m’étais dit que si
je rentrais rapidement à la maison, j’aurais plongé dans les blogs après avoir
posé le bouquin sur l’étagère ad hoc, puis fait une sieste avant d’aller faire
un tour après avoir dîné de bonne heure. Le Connelly serait resté là pendant
des semaines…
J’ai fait un
billet, hier, pour
expliquer pourquoi je ne lisais quasiment plus de polars mais ce n’est pas du
tout ce que je voulais faire… Je voulais rapidement dire que je ne lisais
presque plus et que, pour la reprise, le Connelly m’avait happé… mais je ne
suis pas critique littéraire et je ne considère même pas ça comme de la
littérature. Je voulais faire un hommage à Connelly que la plupart des gens
connaissent depuis qu’un film a été adapté d’un de ses bouquins mais que je
connaissais avant.
Je ne sais pas rendre hommage. Connelly est un maître de ce
que j’appelle les polars américains. Ses héros sont vivants et ordinaires,
souvent des espèces de loosers auxquels on finit par s’attacher parce qu’ils
sont sympathiques. Comme me disais un pote, les héros de Connelly ont ceci de
particulier qu’ils vieillissent. Ce sont souvent les mêmes personnages qu’on
retrouve d’un bouquin à l’autre (il faut lire Connelly dans l’ordre) mais ils
prennent de la bouteille.
Z’avez qu’à lire. Dans celui-ci, on connaît le meurtrier dès
le départ et une des faire-valoir des héros est une blogueuse, ce qui me rend
le bouquin encore plus sympathique (mais le blog n’est que vaguement évoqué).
Suite à ce billet d’hier, MHPA a laissé un beau commentaire
que je vais reproduire ici : «
Oui, enfin,
Connelly… Un super-écrivain en bâtiment, guère plus, si j'en juge d'après les
deux que j'ai lus dans le temps. » Ah ! Non ! Ca c’est le
commentaire de
Didier Goux. Toujours à
faire le malin. «
Super écrivain en bâtiment » me va bien, d’ailleurs…
Le commentaire de
MHPA est : «
le polar américain peut s'avérer de la très belle et très
puissante littérature (Elroy, ou plus ancien, et pas spécifiquement polar,
David Goodis).
Beau billet en forme d'hommage à
ce que l'imaginaire nous donne, et à cet imaginaire que toi-même, par
l'intermédiaire des blogs, tu nourris de ta réalité, afin de nourrir
l'imaginaire des autres.
Toujours eu l'impression qu'un
livre apportait un approfondissement formidable de l'instant, cet instant figé
qui disparaît si vite sur Internet et dont on n'a, bien souvent, pas
suffisamment le temps de goûter. »
Ca me fait penser que je n’ai pas raconté la suite de mon
voyage, avant-hier. J’avais raconté le début dans
un billet fait dans le
TGV. Juste après, j’ai eu faim et je me suis retrouvé au wagon bar où j’ai pris
une espèce de menu infâme à 16 euros. J’ai déjeuné debout dans une position
assez confortable. J’ai décidé d’y rester jusqu’à Saint-Brieuc. Jouant
avec mon iPhone, je restais à observer les braves gens.
A un moment, un type a renversé sa bière et engueulait le
barman parce qu’il ne voulait pas lui donner de serpillière. Le barman lui a
expliqué qu’il n’en avait pas et tout ce qu’il pouvait obtenir est du PQ dans
les chiottes. Le mec continuait à trépigner et a fini par se casser vers les
premières. Il est revenu peu après et a recommencé son esclandre. Il se casse
vers les secondes puis au bout d’une demi heure revient. Et il a engueulé le
barman parce qu’il avait parcouru tout le TGV d’un bout à l’autre pour
expliquer qu’il n’avait trouvé que du PQ dans les toilettes des 10 voitures et
que ça n’aurait pas été pratique pour essuyer par terre. Il exigeait une
serpillière. Finalement, les contrôleurs sont arrivés, ont embarqué le type et
je ne l’ai plus revu.
En gare de Rennes, trois jeunes (20 ans ?) sont entrés.
Ils semblaient très fatigués et visiblement encore ivres de la veilles. Comme s’ils
s’étaient couchés à 8 heures du matin et levés à midi pour prendre ce fichu
train. Ils rigolaient bêtement juste à côté de moi et je me voyais mal passer
le reste du voyage ainsi. J’envisageais de partir retrouver un strapontin et la
tranquillité mais ils m’en empêchaient, il aurait fallu que je leur demande de
se pousser et tout ça, sans compter qu’ils avaient posé leurs bagages juste
devant moi (une valise – une vieille, comme dans le temps – est même tombé sur
mes pieds, à un moment). A leur décharge : ils n’auraient pas pu les
mettre ailleurs, le train était plein. J’ai laissé tombé.
Rapidement, un des trois s’est assis par terre et s’est
endormi, la tête appuyé le gros pied du guéridon (il y a une poubelle dedans, d’où
sa taille), c’était assez rigolo. Les deux autres se sont vite calmés. Un des
gugusses est parti lire un machin publicitaire de la SNCF. L’autre s’est assis
par terre et s’est endormi la tête appuyée sur ma guibole.
Ca m’a un peu rappelé quand j’étais militaire (ce qu’a d’ailleurs
dit
El Camino en commentaire).
Les deux qui n’étaient pas endormis sur moi ont fini par se
disperser dans le TGV pour trouver des places et l’autre s’est réveillé avant
Saint Brieuc ce qui m’arrangeait bien !
A Saint-Brieuc, j’avais près de deux heures à attendre mon
car. Je me suis assis sur un banc et j’ai voulu économiser la batterie de mon
iPhone pour être sûr d’avoir de la marge si j’avais à l’utiliser pour un motif
sérieux. J’ai ressorti le Connelly de ma poche et je me suis plongé dedans (je
l’avais commencé 6 ou 7 semaines auparavant, lors de mon précédent voyage en
train). La gare de Saint-Brieuc n’est pas l’endroit idéal pour lire, il y a un
tas de clochards qui braillent et interpellent tous les passants.
C’est donc dans le car pour Loudéac que je me suis enfin mis
à la lecture et que j’ai été happé par mes héros.
Et c’est après avoir fini mon bouquin au Comptoir de la
Comète que j’ai eu l’idée de répondre au commentaire de MHPA dans ce billet qui
sera, finalement, un des plus
longs de l’histoire
de ce blog. Vous n’avez qu’à vous en prendre à lui.
Quand j’ai commencé à lire intensément, fin 1996, je
cherchais plus des trucs pour passer le temps et m’étais pris de passion pour
des bouquins d’histoires militaires américaines comme ceux de Tom Clancy puis
les trucs d’aventure comme les bouquins de Clive Cussler, le tout sans beaucoup
de fond mais parfaits pour les conditions de lecture.
De fil en aiguille, j’en avais vite fait le tour et le
hasard a fait que je suis tombé, dans une gare, sur des polars
américains et j’ai commencé à adorer ça. Pas que Américains, d’ailleurs,
puisque mes préférés, après Connelly, sont probablement Donna Leon et Henning
Mankell. Côtés américains, j’adore Lawrence Block et Georges P. Pelecanos.
C’est avec Block, d’ailleurs, que j’ai commencé à acheter en
masse sur le site web de la FNAC, auteur par auteur, toute les séries, de
manière chronologique.
Un jour, un collègue (maintenant heureux retraité et
blogueur, voisin de
Gabale et de
FalconHill, chez qui je passe
toujours quelques jours, l’été, sauf cette année) a remarqué que j’avais
toujours un « polar américain » posé sur mon bureau. Il a tellement
insisté pour que je lise du Connelly que j’ai fini par craquer alors que je ne
faisais, auparavant, que confiance en mon instinct.
Peu après, je suis ainsi tombé sur « La Blonde en béton »
et « les égouts de Los Angeles » à Montparnasse et j’ai acheté les
deux. Ils correspondaient à mes critères, ces trucs cons qui font qu’on achète
des livres dans des gares : tout est dans le packaging. D’ailleurs on se
demande si ces machins ne sont pas écrits par des ordinateurs pour doser
chaque aspect qui fait la qualité d’un polar : des histoires persos, une
ambiance, un milieu à découvrir, un peu de cul mais pas trop, des
rebondissements incroyables mais naturels, ... L’expression « écrivains en
bâtiment » employée par Didier Goux me plait bien et lui-même en étant « un »,
nous avons beaucoup parlé de ça lors de nos premières rencontres.
Si, dans un bouquin de gare, vous tombez sur un gros nègre
guyanais et un gros frisé avec une cravate à chier et quelques épisodes se
déroulant au Kremlin-Bicêtre, vous saurez comment les auteurs de livres de gare
trouvent de l’inspiration pour les détails qui diversifient les bouquins, l’intrigue
policière n’ayant aucun intérêt…
Voila ce que je voulais répondre à MHPA.
Mais cette réponse serait incomplète si je ne racontais pas
mon voyage de retour.
Tout a commencé ce matin quand je me suis réveillé et me
suis rappelé que j’avais un train dans 1h30 avec un tas de trucs à faire avant
comme prendre un bain, faire caca, prendre un café, lire les blogs, lire le
programme télé de la semaine (les pages people, seulement, ça fait des 10 ou 15
ans et c’est devenu un rite : lire les pages people du programme télé
distribué avec le Télégramme de Brest en prenant mon café quand je rentre en
Bretagne toutes les trois semaines : il ne serait pas très poli d’aller
prendre le café devant le PC comme je le fais quand je suis chez moi).
A la gare de Loudéac et au grand étonnement de
Dadavidov, j’ai
réparé une faille dans les réseaux sociaux : la gare de Loudéac n’était
pas déclarée dans Foursquare. Ca fait des années que je n’avais pas pris ce car
et j’ai retrouvé mes réflexes : sortir le bouquin non pas dès le départ
mais après le dernier rond point, au bout de deux ou trois kilomètres parce qu’avant,
c’est impossible de se concentrer pour lire, à cause des changements de rythme
du car.
J’avais enfin la possibilité de finir mon Connelly.
Malheureusement, le TER que je devais prendre entre
Saint-Brieuc et Rennes était plein. Vraiment, il y avait du monde partout qui
courrait pour trouver une place. J’ai compris au premier coup d’œil qu’il n’y
en avait pas, je me suis mis sur un tabouret dans un espace assez particuliers
où les gens entassaient des bagages… Des mômes s’étaient d’ailleurs allongés
dessus.
Un de ces bordels ! Impossible de lire dans ses
conditions.
A Rennes, j’étais tranquille. J’avais une place réservée
dans le TGV, en 1ère. Je n’ai pas des goûts de luxe : le
dimanche, c’est souvent le même prix que les secondes.
Je monte dans ma rame et repère ma place, au bord du
couloir. En face, il y avait un jeune qui regardait un film sur son ordinateur
portable. Juste à côté de lui, il y avait d’un type d’environ 70 ans absolument
énorme (il a dormi tout le trajet en ronflant comme un goret). Au départ de
Saint-Brieuc, la place à côté de moi était libre.
Peu après, un noir s’est pointé et m’a regardé. C’était une
armoire à glace d’une vingtaine d’années, les pectoraux bien en avant, un bon
mètre quatre-vingt-dix, des bagues, des bracelets, une grosse ceinture. Il
finit par me dire « pardon » dans sa barbe pour que je le laisse
parler. J’ai cru comprendre que c’était un vrai ours (ce en quoi je me suis
planté puisqu’en arrivant à Paris, nous avons un peu papoté) vendeur de drogue.
Vous voyez le tableau !
Mais une armoire à glace comme ça me changeait de mes deux
gros noirs habituels, nourris pour l’un, à la Côtes-du-rhône et pour l’autre à
la bière.
Je ne vous raconte pas ça par racisme primaire mais parce
que j’ai fini par l’assimiler à un des personnages du bouquin de Connelly
(pourtant largement plus jeune), le jeune noir à moitié caïd qui se fait
emprisonner au début du livre. Comme le type est allé deux fois téléphoner et m’a
donc fait me sortir du livre et me lever deux fois, c’était assez amusant.
J’avais envie de lui dire : « hé ho, on vient de t’innocenter, faudrait peut-être voir à
arrêter de faire chier. »
Mon TGV s’est arrêté à Laval mais pas au Mans. Je me demande
si les gugusses qui organisent les voyages des TGV à la SNCF ne sont pas un peu
tordus. Il avait fallu que je prenne un TER qui venait de Brest qui s’est arrêté
à Lamballe, absolument plein à craquer, puis un TGV qui s’arrête à Laval…
Et mon histoire de pieds, promise au début de ce billet mais
que vous aviez oubliée… ?
De l’autre côté de l’allée centrale qui n’est pas centrale
en première puisque sur le côté droit il y a deux rangées de sièges mais qu’une
seule à gauche, il y avait « de mon côté » (dans le sens de la
marche, quoi !) un grand type chauve qui regardait son ordinateur avec des photos de maison. J’ai passé une partie de
mon temps à me demander pourquoi il regardait ça. C’est assez incroyable
comment les gens arrivent à faire rentrer les autres dans leur intimité en
laissant entendre des conversations téléphoniques ou en ayant une activité
précise sur leurs ordinateurs portables. Ca n’avait évidemment aucune
importance pour lui de savoir que je voyais ce qu’il faisait, mais ça me gênait,
moi ! Les gens, dans le TGV, regardez des films ou lisez les blogs mais ne
faites pas un truc qui va faire s’interroger les voisins qui vont éprouver une
gêne abominable en ayant l’impression de casser une intimité.
En face de lui, il y avait une dame un peu grassouillette.
Le type avait posé la sacoche de son ordinateur entre ses
jambes. Elle avait fini par glisser et se mettre dans l’autre sens, sur ses
pieds et ceux de la dame, la dérangeant visiblement. Elle est restée fort polie
mais l’a engueulé comme du poisson pourri. Le mec en face de moi avait des
écouteurs et n’a donc pas « vu » la scène et le gros dormait. Ma
baraque black et moi avons alors échangé un sourire, tellement c’était drôle.
Il aurait été plus simple que la dame dise « Monsieur, votre sacoche me gène, pourriez-vous la
déplacer, s’il vous plait ? » Mais elle s’est très mal
exprimée si bien que le type qui se faisait engueuler poliment ne comprenait
rien à ce qui lui arrivait. C’était drôle.
Mais pas fini.
Environ une heure après, c’est le mec qui a engueulé la dame :
« Mais qu’est-ce que vous avez à tout le temps
bouger les pieds, comme ça ? » « Mais
c’est votre sacoche, là qui me dérange. » Le mec ne comprenait rien
puisqu’il avait rangé la sacoche ! La dame ne voyait pas, d’où elle était
mais moi, « de biais », je voyais bien qu’il n’y avait rien. Ca a
commencé à crier de plus en plus fort. Le type en face de moi en a enlevé ses
écouteurs et arrêté son film !
La dame a fini par se pencher et lui attraper son mollet en
disant «
c’est ça qui me dérange »
dans sa lancée avant de se rendre compte de sa bévue.
J’étais le seul à avoir pu voir la scène d’où j’étais… C’est
dommage.
Pour rattraper le coup, elle a commencé à l’engueuler pour
lui dire que ses pieds dépassaient l’axe central de la table et qu’il débordait
chez elle. Le mec l’a regardée et a replongé dans son PC pendant qu’elle
trépignait…
A Montparnasse, j’ai acheté mon sandwich et je l’ai mangé
dans l’espace au bout des quais (ça aurait été ridicule que je le mange dans le
métro). J’ai fait les cent pas dans la salle des pas perdus, observant les
nuées de touristes qui étaient venus passez le week-end à Paris.
Et puis j’ai craqué, j’en englouti mon machin.
Il fallait que je prenne le métro pour que je puisse me
replonger dans mon polar américain. Je n’avais pas lu dans un polar dans le
métro depuis des lustres…