Mon confrère Sarkofrance ayant un commis
un
billet où il comparait les blogs et les bistros, j’ai fait un billet pour
lui
répondre
que seuls ceux qui connaissaient les bistros pouvaient se permettre de le
faire. Pourtant
, il faut bien constater que ceux qui le font ne connaissent pas
les bistros, voire, à la limite, que personne ne les connaît.
Pour l’anecdote, je voulais le démontrer et suis resté
scotché devant ma page, rédigeant des paragraphes puis les supprimant :
mon billet devait parler de blogs, pas de bistros. Ca a duré presque une heure,
ce qui est exceptionnel chez moi, tant j’ai l’habitude de pondre mes âneries en
quelques minutes.
Ca vaut bien le coup d’y consacrer un billet entier,
non ?
Tout le monde fréquente les bistros, ne serait-ce que pour
bénéficier des toilettes ou boire un demi en terrasse l’été. Beaucoup ont des
habitudes, comme boire un café au comptoir le matin ou y déjeuner tous les
midis parce qu’ils n’ont pas d’autre choix. Certains y vont parfois le soir
avec des collègues ou y passent des soirées festives à l’occasion, plus ou
moins régulièrement. Quelques irréductibles, comme moi, sont très assidus.
Du coup, les gens semblent connaître les bistros. C’est
assez facile : il faut un patron, des serveurs, un comptoir, une salle,
éventuellement une terrasse, … Pourtant, j’ai connu des patrons de bistro – pas
beaucoup ! – qui ne connaissaient même pas leur propre boutique.
Mon blog ne serait pas mon blog sans quelques anecdotes.
Début 2008, le patron de la Comète a changé. Il y a mis un couple de
« gérants appointés » avec des consignes et des contraintes. L’affaire
a rapidement sombré : le patron a essayé d’imposer un mode de
fonctionnement qui n’était pas adapté au quartier. On pourrait épiloguer sur
les raisons. Il n’empêche que je ne l’ai jamais vu ce qui veut dire qu’il
n’était jamais là pendant mes heures de présence. Je peux donc affirmer qu’il
ne connaissait pas son bistro. C’est factuel.
Ce gars était un professionnel. Il avait d’autres affaires
(deux, je crois) qui fonctionnaient bien. Sa première erreur a été d’imposer un
système de fonctionnement dans un lieu qui n’était pas du tout adapté : on
ne fait pas une cuisine relativement moderne qui nécessite une dépense de 20
euros par client au minimum (plat, dessert, café), avec un service décontracté
dans une vieille brasserie, dans un quartier où on n’est pas sûr que ça
pourrait marcher… Il a commis d’autres petites erreurs mais c’est celle-là qui
retient mon attention : même un patron de bistro expérimenté peut prouver
qu’il ne connaît rien au monde des bistros. Il est même possible que je les
connaisse mieux que lui puisque je sais qu’ils ne sont pas nécessairement à
l’image de ce que je m’en fais.
Je ne sais pas si vous avez suivi : toujours est-il
que si un patron de bistro peut mal connaître les bistros, il n’est pas
surprenant que les gens ne les connaissent pas. Pourtant, beaucoup de gens
s’imaginent les connaître, il suffit d’un détail. Prenez un type qui prend
souvent le café à la même heure le matin. Il y a une forte chance pour qu’il
rencontre plusieurs fois par semaine un fournisseur, pour le bar ou pour la
cuisine. Le fournisseur finira pas le connaître un peu et ils s’adresseront
vaguement la parole. Le type aura l’impression d’être entré dans l’intimité du
restaurant et sera persuadé de le connaître alors qu’il n’aura vu ni le service du
midi au restaurant ni la fermeture du soir avec les poivrots au comptoir. Le
pire est qu’il va extrapoler ce qu’il aura vu à toute la profession.
L’expression « Discussion de café du
Commerce » est à l’origine de nombreuses erreurs de perception des
bistros.
Tout d’abord, une page culturelle. Cette expression vient
d’une rubrique du Figaro écrite dans son temps par Marcel Dassault. Il avait
l’habitude de la rédiger attablé au Café du Commerce, très bel établissement de
Paris que je fréquentais à l’époque où j’habitais Rue de Lourmel. Voir
l’illustration piquée dans leur site web où il y a
une galerie photo. Du coup, "Café du Commerce" est entré dans le nom de la rubrique (j'ai oublié le nom exact). De fil en
aiguille, l’expression est entrée dans le langage et les gens s’imaginent une
discussion d’abrutis au comptoir. Or, à ma connaissance, le Café du Commerce ne
sert pas de consommation au comptoir et compte tenu du quartier et de la
politique tarifaire de la maison, la maison n’est probablement fréquentée que par
des abrutis.
Au moins, avec mon blog, vous aurez appris quelque chose.
Je peux pourtant vous garantir que les discussions tenues au
comptoir sont loin d’être plus débile que celles tenues à table en famille, à
la cantine, à la machine à café, en attendant les mômes à la sortie de l’école,
chez le coiffeur, …
Je peux vous garantir aussi qu’il n’y a pas plus de cons
au comptoir qu’ailleurs. Pas moins non plus, d’ailleurs. Mais il faut bien
reconnaître que l’alcool (je ne parle pas de la cuite mais des deux premiers
verres) délie les langues…
Après deux verres, on a tendance à tenir des propos qu’on ne
tiendrait pas sinon. Le pochetron a d’ailleurs tendance à le nier, même à jeun,
car il n’est pas très viril d’admettre qu’on ne supporte pas deux verres de
bière… Ceci était un apparté.
Ainsi, les bistros ont une mauvaise réputation, celle d’être
fréquentés par des bas de plafond. Je pourrais assez facilement démontrer le
contraire, c'est-à-dire qu’un type qui ne va pas au bistro est un con mais ce n’est
pas l’objet. Cette mauvaise réputation est renforcée par ce que peuvent
observer les gens quand ils rentrent dans un bistro car ils ont un tas d’aprioris.
Par exemple, asseyez-vous en salle, à la Comète, pas loin
du comptoir. Vers 19h15, vous verrez arriver un gros noir suivi de près par
un gros frisé. Ou dans le désordre. Le gros noir dit au gros normal « Salut gros » qui lui répond « Salut né gros ». Vous allez immédiatement
penser que je suis (oui, il s’agit de moi, l’autre c’est Tonnégrande) un gros
con raciste et que l’autre un gros con de permettre que je lui dise ça.
Tu as tort. Désolé de te tutoyer. Nous sommes uniquement deux imbéciles aimant le comique de répétition au
bistro.
« Santé ! »
« Mais pas des pieds ! » est
un rituel. Une espèce d’autodérision. Mon « Salut né gros » est une
plaisanterie destinée aux autres clients. Evidemment, seuls Tonnégrande et
Patrice peuvent comprendre que je me moque de tous les racistes autour de nous,
dont toi qui as été choqué par mes propos dans le paragraphe précédent sans même
te rendre que tu as cru que j’étais raciste parce que tu as vu une différence
physique entre Tonnégrande et moi. Moi, je ne la vois pas. Mais ce n’est pas grave.
Dégouté par le fait d’avoir vu des gros cons au comptoir, tu
vas aller boire un coup ailleurs, par exemple à l’Amandine. Tu y trouveras
quatre dames au comptoir. Il s’agit de la folle trop bavarde dont j’ai déjà
parlé dans le blog, de Geneviève, également personnage clé, de Corinne et de sa
mère, autres personnages importants.
Comme il y a la folle bavarde au comptoir et Geneviève qui
est saoule (surtout dans les jours qui suivent le versement du RSA), tu vas te
dire que les quatre sont saoules. Un mauvais fond en toi t'aura fait imaginer
des conneries.
D’ailleurs, Corinne et sa mère boivent de l’eau à cette heure… Ils
arrivent vers 19h30 à l’Amandine parce que Corinne est rentrée du boulot et a
pu aller faire ses courses puis chercher sa mère à la maison pour l’aider à
marcher jusqu’au comptoir où elle aura sa seule vie sociale qui consiste à
discuter avec le patron et moi et à écouter les deux autres tarées bavasser.
En un quart d’heure de bistro, tu as donc fait deux
erreurs d’analyse : Tonnégrande et moi ne sommes pas que des gros cons
et Corinne et sa mère ne sont pas des pochetronnes. Néanmoins tu vas vite être
conforté dans ton analyse idiote des bistros puisque je vais arriver et me mettre
avec les deux dames.
Tu vas donc quitter déçu l’Amandine et tu vas arriver à l’Aéro.
C’est un bistro cradingue avec trois ou quatre types au comptoir à cette heure.
En arrivant, sans même regarder ce qu’ils boivent, tu vas te dire que ce sont
encore des gros cons bourrés. Peu après, tu vas constater que tu ne comprends
pas la moitié de ce qu’ils disent. Tu vas donc décider définitivement de classer
tous les types de comptoir dans une catégorie d’ivrognes débiles. Sans même constater
que si tu ne comprends rien à ce qu’ils disent uniquement parce qu’ils parlent dans
un mélange de kabyle et de français.
Arg ! Mon Dieu ! On va se rendre compte définitivement
que tu es raciste : tu prends un type qui parle dans une langue
ressemblant à de l’arabe et tu crois qu’il est bourré.
Je pourrais continuer longtemps ma promenade dans Bicêtre…
Désolé de t’avoir traité de raciste, c’était juste pour démontrer que des
erreurs d’analyse peuvent avoir des conséquences idiotes.
Je vais résumer cette partie. Avec
ce personnage que j’ai traité à la deuxième personne du singulier, on a vu qu’un
type qui faisait brièvement trois bistros se faisait une idée totalement fausse
des clients des bistros. Avec mon histoire de café du Commerce, avant, on a vu
que les gens n’étaient pas plus con au comptoir qu’ailleurs. En début de
billet, on a vu qu’un professionnel des bistros pouvait se planter
lamentablement.
Tiens ! Pourquoi j’écris en bleu, subitement. Ah !
Oui ! Pour rythmer.
Je fais souvent des billets à propos des bistros, ici.
Récemment, je parlais du Washington. J’y allais après le boulot, vers 19
heures. Souvent, les enfants des patrons arrivaient de chez la nounou et ils se
mettaient dans la salle, derrière, pour faire leurs devoirs, encouragés par leur
mère. Un jour, la mère n’arrivait pas à comprendre le devoir de math de son
fils, en cinquième. Un truc de géométrie. Du coup, elle m’a soumis l’exercice,
je l’ai fait. J’ai refusé de donner la solution. J’ai lu le bouquin de math en
diagonale (les méthodes ont probablement changé depuis ma jeunesse) et j’ai expliqué à la mère comment résoudre l’exercice et ensuite je
lui ai montrer comment aider son fils à apprendre à trouver la solution, en faisant preuve de
pédagogie. Les semaines suivantes, ça a continué, c’était très sympa et rigolo.
Dans mon blog, je pourrais probablement raconter plusieurs
anecdotes par jour mais ça lasserait les visiteurs. Et moi : je ne vais
pas au bistro pour trouver des conneries à raconter dans mes blogs.
L’objet de ce billet est de dire que les gens ne connaissent
pas les bistros et en ont une image déformée. Ils ignorent que la dame derrière
le comptoir est une mère de famille ou que les deux gros au comptoir sont cadres
supérieurs dans leurs entreprises respectives, de gauche, avec les mêmes horaires, passant devant la
Comète par nécessité, se connaissant depuis près de dix ans au point d'être devenus amis et plus simples copains de bistro et aimant bien rigoler au comptoir.
Les gens ne connaissent pas les bistros, ils ont oublié que
les autres sont aussi des êtres humains. Ils se disent : « je ne suis pas comme ça ».
Ben si.
Ils sont cons, ils devraient aller plus souvent au bistro.