Quand j’ai appris la mort de Jean, cette nuit, j’ai été
touché parce que je le connaissais un peu. Je l’avais croisé une fois et j’ai
souvent discuté avec lui sur le web. Ce matin, j’ai voulu en avoir une
confirmation (elle est venue après, Jean est mort dimanche) et j’ai cherché son
nom dans Google et ce sont des tonnes de souvenirs qui me sont revenus en
mémoire.
Jean représentais parfaitement la blogosphère que j’aimais,
celle des copains.
Je crois qu’il est entré chez Wikio à une époque où cette
boîte - et son patron, Pierre Chappaz, ce n'est pas tous les jours que je lui
rends hommage - voulait démocratiser son classement pour le rendre plus
"humain" par opposition à un classement avec des blogs plus
professionnels. Jean a donc progressivement modifié les algorithmes pour donner
moins de poids aux bandes de copains vieux blogueurs, presque institutionnels,
qui squattaient les premières places. C'est ainsi que mon blog politique s'est
retrouvé premier du classement des blogs politiques puis premier du classement
général (mes autres blogs occupant de très bonnes places dans les autres
classements).
Du coup, c'est avec les copains qu'on s'est mis à squatter les bonnes places.
Partageons mon avis est resté trois ans ou presque en tête de ces classements.
On peut en rigoler mais la nouvelle tronche du classement me plaisait bien, les
blogs étaient personnels, les blogs politiques étaient engagés et militants ce
qui les rendaient beaucoup moins chiants que les blogs plus traditionnels qui
ne faisaient que tenter de ressembler à des éditorialistes.
Pour ce qui concerne les blogs geeks, il ne fait nul doute dans mon esprit que
Partageons l'addiction serait arrivé premier de sa catégorie si Wikio n'avait
pas modifié ses algorithmes en prenant en compte les nombres de citations dans
Twitter.
Jean parlait souvent de ses algorithmes dans ces blogs et expliquait pourquoi
il faisait telle ou telle évolution pour éviter cet effet de meute fait par des
groupes de copains blogueurs. Cela m'intéressait beaucoup parce que j'avais
fait études de statistiques. Je commentais souvent chez Jean et j'ai fini par
participer au Google Group où les ingénieurs de chez Wikio discutaient. Je
précise que ce positionnement particulier ne profitait pas à mes propres
classements puisque je signalais les "anomalies" qui leur profitaient
!
Un jour, Wikio a organisé une soirée pour présenter ses nouvelles évolutions.
J'y étais invité en tant que membre du groupe mais je leur ai suggéré d'inviter
d'autres blogueurs. C'était très sympa.
C'est la seule occasion que j'ai eue de rencontrer Jean et nous n'avons pas
discuté en tête à tête. Il nous a fait un exposé pour expliquer comment il
allait prendre en compte Twitter. Il en a profité pour nous montrer les outils
qu'il utilisait pour tester ses algorithmes (un système de pondération entre
les nombres de backtweets et de liens de blog à blog tout en prenant en compte
leur ancienneté, les liens récurrents entre copains, le poids accordé aux liens
selon le poids du blog à l’origine...). Il avait essayé des dizaines de
combinaisons mais n'avaient jamais réussi à me déloger. Quoi qu'on fasse, mon
blog restait le premier. De fait, nous étions devenus complice d'un jeu : il
fallait que mon blog chute.
Des jaloux et des andouilles nous ont accusés de tricher mais ils n'ont
probablement jamais réussi à penser ce que devait être un classement de blogs.
De fait, j'étais le blogueur à avoir le plus gros réseau de copains blogueurs, j’étais
sans doute moi le blogueur actif qui commentait le plus de blogs différents.
J'étais number one et c'était très bien ainsi. En plus, j'avais probablement un
des blogs politiques les moins chiants et les plus vivants même si j'avais un
nombre de lecteurs inférieur à d'autres.
Et je pense que mon blog politique était celui le plus lu par des blogueurs
actifs. En ce sens, c'était un blog influent. Et paf ! Et mon blog geek était
un des blogs geeks les plus lus par des blogueurs actifs non geek.
Dans ce billet, je parle plus de moi que de Jean mais c'est parce que nous
avions à peu près la même conception de la blogosphère ou, du moins, que les
outils qu'il mettait en place reflétait mes propres idées.
Outre le fait qu’ils ne représentent pas grand-chose, ces
classements ont un certain nombre de limites. J’en vois trois importantes. La
première : ce n’est pas l’influence qui fait le classement mais le
classement qui fait l’influence. Catégorisé number one, je passais pour tel
auprès de lascars qui ne savaient pas ce que représentait ce classement. La
deuxième : le succès appelle le succès. Un « petit blogueur » va
plus facilement chercher des sujets de billets parmi les zinfluents. Il nous
fait donc des liens ce qui entretient notre position au classement. J’insiste
sur ce point pour les andouilles qui pensaient qu’on trichait avec un effet de
meute : il n’en est rien. La meute permettait d’augmenter la visibilité
des billets mais pas les classements. J’avais tous les mois des dizaines de
types que je ne connaissais pas qui citaient mon blog.
Ces deux points sont importants : les outils de Jean
étaient parfaitement opérationnels pour éviter les tricheries mais ils ne
pouvaient pas gommer le fait que le succès appelle le succès.
La troisième est qu’il est très difficile de faire la part
des choses entre les bons blogs et les bons billets. Je crois que NKM est la
première politicienne à avoir eu du succès dans les classements : un de
ses billets avait été beaucoup cité dans Twitter par ses meutes de fans et elle
s’était retrouvée dans les toutes premières places alors qu’elle n’était citée
par aucun autre blog. Le phénomène est arrivé également avec des blogs plus
institutionnels que les nôtres. Nous étions revenus à la case départ, avant l’arrivée
de Jean… Et probablement au moment de son départ (je n’ai appris que des années
après qu’il était parti).
De fait, le classement a bien évolué après son départ avec
la prise en compte de personnalités politiques importantes (alors qu’il n’y a,
parmi elle, que très peu de vrais blogueurs et qu’ils considèrent leurs blogs
comme un outil de communication, pas comme un élément d’un réseau social) et
surtout de sites de presse. C’est la principale raison qui a fait qu’avec un
tas de copains, on est partis. Notre blogosphère était morte.
Je ne peux pas citer tous les travaux de Jean. Outre les
blogs et Wikio, je me suis beaucoup intéressé à ces travaux autour des
personnalités politiques.
Comme beaucoup, j’ai souvent réfléchi à un site web qui
serait alimenté par les blogs, en mettant en avant les bons billets. Je me suis
beaucoup inspiré des remarques de Jean et de ses idées. Je n’ai jamais trouvé
la solution.
Parmi ces idées, il y en avait une que je tiens à signaler :
dans les notations qu’il donnait pour faire ses classements, il pondérait les
éléments en fonction des catégories. Si un gros blog geek annonce un nouveau
téléphone chez Apple, il sera automatiquement cité dans des milliers de tweets
alors qu’un blog politique aura beaucoup de mal à dépasser la vingtaine ou la
trentaine. A contrario, les blogueurs politiques auront plus d’envie de citer
leurs sources, d’autres blogs, que les blogs geeks… Je ne vais pas m’étendre
pour ne pas devenir trop technique mais ses travaux étaient très importants
pour moi pour avoir une vision globale de la blogosphère.
La nôtre, celle pour qui Jean a fait beaucoup. Il a réussi à la démocratiser.
Je voudrais associer à ce billet les copains Gaël et
Falconhill, de même que Virginie et Balmeyer, en souvenir de l’époque où l’on
voulait être maitres du monde… et où l’on a réussi. J’y associe aussi
Sarkofrance dont le blog politique a accompagné le mien dans ce classement
pendant trois ans. Et je salue évidemment tous les copains des leftblogs, ceux
de l’époque comme ceux de maintenant, et tous les autres, tous mes complices d'une journée ou d'une année.
Et j’ai une pensée pour Philippe, Jean-Louis et Olivier.
Au paradis des blogueurs, ils ont été rejoints par un maître.