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02 novembre 2014

Un petit tour au bistro ?

Quand je pense qu’il y a encore des gens qui ne connaissent pas l’Aéro, ça me laisse pantois. J’y vais assez souvent mais je ne reste jamais très longtemps, sauf parfois le samedi soir, quand il est ouvert. C’est un tout petit bistro où seul le patron bosse, aidé parfois par un pote à lui pour qu’il puisse avoir quelques disponibilités pour régler des histoires personnelles. De mémoire, le patron est là depuis avril 2007. Au départ, ils étaient deux mais ils ne s’entendaient pas bien. Du coup, deux ans après l’ouverture, Karim a racheté les parts d’Idir. Il est ouvert tous les jours depuis le début. Jamais de repos, jamais de vacances.

En avril, il a fini de rembourser son prêt. Il est propriétaire. C’est une toute petite affaire, mais, en région Parisienne, ne nous trompons, ça représente 20 ans de SMIC, uniquement pour le fonds de commerce, pas les murs.

Quand il n’est pas en retard, il ouvre à 6 heures du matin. Pour nous autres, grosses fainéasses, ça parait très tôt, mais il y a un tas de gens qui prennent un café avant d’aller bosser, des ouvriers ou alors des types qui reviennent de Rungis. Jusqu’en 2007, je prenais souvent l’avion et choppais le premier métro, vers 6h05. Je passais prendre un café, juste avant, à la Comète ou à l’Aéro. Il y avait toujours des clients. Il ferme souvent vers 19 heures, parfois il traine jusqu’à plus de minuit.

C’est un des derniers bistros n’ayant que la vente de boisson comme activité. Regardez autour de vous, hors bars de nuit et zones touristiques, tous les bistros font autre chose : restauration, tabac, jeux,… Pas l’Aéro. Tout le monde lui donne des conseils, notamment pour qu’il fasse restauration mais il serait obligé d’employer un cuisinier et un serveur. Il gagnerait moins d’oseille. Beaucoup de types ont prédit qu’il ne réussirait pas et qu’il serait obligé de revendre. Il a réussi. J’étais un des seuls à y croire et, avec mon flair, je ne me suis pas planté. C’était un peu pareil avec la Comète, mais dans l’autre sens. Tout le monde prédisait que l’ancien patron ferait un tabac, sauf moi. J’ai malheureusement eu raison.

D’autres lui conseillent de mettent une grande terrasse vu que la place vient d’être refaite et qu’il y a un bel ensoleillement. Le problème est le même : il serait obligé de prendre du personnel. Alors, il a mis quatre ou cinq petites tables et se débrouille tout seul. Gérer une grande terrasse est très chiant : le matin, il faut sortir les tables, les chaises, même s’il fait mauvais (elles sont stockées dans le bistro). Le soir, après une journée de boulot, il faut les rentrer. Il y a un marché deux ou trois jours par semaine. Il serait emmerdé, ne pouvant pas sortir toutes les tables et étant donc obligé de les descendre à la cave pour avoir de la place.

Dernière précision : l’Aéro est juste après la sortie du métro, dans la direction de l’Hôpital (un des plus gros d’Ile-de-France), à quoi des arrêts des bus qui desservent une partie de Villejuif et tout le sud-ouest de la commune. Il y a donc beaucoup de passage.

La clientèle

Dans le temps, le bistro était tenu par un couple, Christiane et Loulou. Il me semble qu’elle était auvergnate et lui Kabyle. A l’époque, il faisait à manger le midi. Je crois que c’est Abdel qui faisait la cuisine. Bicêtre était une ville ouvrière et ce genre de bistro avec une bouffe traditionnelle (bœuf bourguignon, blanquette et couscous) marchait du tonnerre. Le bistro a été ensuite repris par Abdel et son frère puis Abdel tout seul, dans les années 90. Le quartier commençait à changer. C’est d’ailleurs à cette époque que j’ai acheté mon appartement (94) et commencé à vernir à l’Aéro (96 ?). C’est le genre de boutique où il faut être trois : un barman, un cuisinier et un serveur. A deux, Abdel et son frangin, ce n’était plus possible. Il faut un barman, si possible le patron, à plein temps pour assurer la relation avec la clientèle. S’il est occupé au service, le comptoir est vite déserté et les gens prennent l’habitude d’aller ailleurs, d’autant que les deux n’arrêtent pas de s’engueuler pour différentes raisons.

Abdel a donc pris l’affaire tout seul, sans cuisine. Sa femme était infirmière et rentrait souvent tard le soir donc le bistro était progressivement devenu festif. Ainsi, en plus de la clientèle de kabyles, d’ouvriers, d’amateur de bistros « bougnat », l’Aéro s’est retrouvé avec une clientèle plus jeune, le soir,… Ou plus vieille, d’ailleurs, puisque les vieux potes y venaient plus souvent.

Ainsi, la clientèle est hétéroclite mais assez « communautariste ». On peut facilement distinguer les groupes :
-          Les vieux Kabyles qui restent assis des heures le matin,
-          Les vieilles françaises, remplaçantes des Auvergnates, qui les remplacent l’après-midi,
-          Les noirs qui, quant à eux, remplacent plus les ouvriers,
-          Les jeunes kabyles,
-          Les anciens de Bicêtre, remplaçant aussi les ouvriers.
Et moi, au bout du bar, soit tout seul, soit dans un de ces trois derniers groupes. Je précise les « origines » parce que les détails comptent pour la suite de l’histoire mais aussi parce que le vivre ensemble est amusant à regarder.

Je suis le plus ancien client de Karim. J’étais là le jour de la réouverture, en 2007. Je suis toujours là. Patrice avec qui j’ai bu un coup hier fréquentait le bistro avant moi, mais je suis peut-être le plus ancien client régulier.

Karim est humain : il prend des cuites. Mais, quand il est bourré, il répète toujours les mêmes histoires, 20 fois, 50 fois, 100 fois. Heureusement qu’il change d’histoire tous les soirs. Hier, il nous a cassé les burnes pendant une heure en répétant en boucle que son fils avait cassé la clé dans la serrure. Je vous jure, c’est la vérité ! Et il répète aussi « j’te jure, c’est la vérité » et « sur la tête de mon fils » des centaines de fois. A part ça, il est d’une grande gentillesse mais a tendance à se fâcher avec tout le monde. Sauf avec les clients d’origine bretonne quasiment certifiée. Sa femme, la mère de son fils, était bretonne. J’ai donc un statut particulier dans le bistro… D’autant que je suis à peu près le seul fêtard à ne pas brailler au comptoir, tout comme mes acolytes Tonnégrande et le vieux Joël, le reste de la bande n’y passant plus de soirées.

Quand Jean, de la Comète, a pris sa retraite et les propriétaires ont changé la boutique pour en faire un truc plus branché, en virant les pochetrons et en augmentant les tarifs, l’Aéro a récupéré une partie de la clientèle d’ouvriers.

Pour en terminer de planter de décor, il y a une catégorie de clients que je déteste : les bobos du quartier, ce genre d’abrutis quinquagénaires qui se croient toujours jeunes et regorgent de pognon et viennent boire un coup dans mignon petit bistro de quartier… Ils sont arrogants mais cherchent à copiner avec le patron.

Acte 1 – Scène 1

 Je numérote, c’est pour faire joli.
12h45, hier. L’Amandine et la Comète étant fermées, je me pointe directement à l’Aéro en espérant y trouver des potes. Les vieux Kabyles étaient là, assis à la rangée de tables face au comptoir, assis côte à côte, tous tournés dans même direction. On aurait dit les petits vieux dans Astérix en Corse. Je les salue d’un tonitruant « Bonjour messieurs ». Ils me répondent. Quand il y en a un que je connais bien, je serre la main à tout le monde mais ils n’aiment pas…

Patrice se pointe, nous buvons le coup. Il se barre.

La bande de noirs arrivent. Il y a José. Une armoire à glace. Il a une voix aigüe éraillée, c’est affreux. Il est client depuis deux ou trois ans. On n’a pas les mêmes horaires donc on se voit assez peu mais comme on sait qu’on a des copains en commune, on fait comme si on était des amis d’enfance le temps de se dire bonjour. Il est Guadeloupéen. Il y a Edouard. Lui, je le connais depuis 2008. C’est un des militaires qui loge à Bicêtre. Lui, je ne sais pas d’où il vient. Il est assez petit et relativement attachant. On a envie de le prendre dans les bras pour le consoler. Le genre de gars tout timide. On a l’impression qu’il a envie de parler mais n’ose pas. Et il y avait un autre type, sénégalais, que je ne connaissais pas. A priori, il travaillait dans le quartier et avait donc des horaires de bureau et y habite maintenant, depuis très peu.

Il était venu emprunter une clé de 10 pour monter un lit. Et voila Karim qui nous raconte la fois où il s’est fait voler sa caisse à outil qu’il avait prêté à un Kabyle qu’il n’a jamais revus (le Kabyle et la caisse). Nos noirs apportent leur caution mais avec Karim, en fin d’apéro, ça dure. Notre Sénégalais se casse.

Karim explique alors qu’il a rendez-vous avec Mustapha pour manger des moules frites. Mustapha ! Je ne sais pas d’où il vient, lui. Dans le quartier, certains l’appellent « le Turc ». On va dire que c’est vrai. Toujours est-il qu’il est couturier dans le coin dans une petite boutique à côté de chez moi. Après le boulot, il prend des cuites mémorables. J’en ai déjà parlé ici. Toujours est-il qu’on ne l’a pas vu de la journée, finalement.

Pour faire des moules frites, il manquait un ingrédient essentiel : les pommes de terre. Pendant ce temps, le gars qui aide Karim était arrivé. Quand je dis qui l’aide, ça mérite des précisions : c’est un avocat à la retraite, très réputé au pays, il fait la comptabilité de Karim et le remplace au bistro occasionnellement, je l’ai dit. J’ai oublié son prénom. C’est étrange, c’est un bon pote, un supporter de François Hollande. On a fait les mêmes meetings en région Parisienne. C’est avec lui que je chialais comme une madeleine au soir du 6 mai 2012… Du coup, son prénom me revient ! Majid.

Majid est donc allé acheter des pommes de terre chez Leclerc, plus une demi-baguette et un camembert.

Acte 1 – Scène 2

Majid revient, passe derrière le bar, y dépose ses achats et bricole un truc dos à nous.

Voilà Karim qui se met à gueuler : mais tu n’as pas acheté des pommes de terre pour faire des frites ! Majid : mais si, c’est marqué dessus ! Karim : mais non, elles sont trop petites, ce sont des pommes de terre pour faire de la purée, il faut les cuire à l’eau. Voila nos noirs et nos deux Kabyles qui se lancent dans une discussion sur les pommes de terre. Une bonne demi-heure.

Voilà le Sénégalais qui se repointe avec un barquette qu’il donne à Karim : tiens, voilà, c’est du veau, tu peux le réchauffer ? Karim : ah non, je mange avec Mustapha des moules frites mais Majid n’a pas acheté les bonnes pommes de terre, ce con.

Majid finit par se casser : je vais à l’hôpital voir quelqu’un, je reviens.
Karim : on t’attend pour les moules frites.
Les autres qui avaient vu ce que Majid bricolait se mettent à rigoler. Majid avait mangé sa demi-baguette et son camembert.

Je dois reconnaitre qu’à ce moment, je me suis dit que s’il y a des moules pour trois dont un est parti, il y en a pour quatre dont un est parti. La Comète et l’Amandine étant fermées, il aurait fallu que je mange chez moi (j’avais prévu le coup mais bon, des moules frites…).

Le Sénégalais commence à trépigner ! Tu peux faire chauffer ma barquette de veau ? Karim : ah non, je vais manger des moules avec Moustapha mais Majid n’a pas acheté les bonnes pommes de terre, celles-là sont chiantes à éplucher. Le Sénégalais : mais c’est pour moi, avec ma femme, on emménage, et on n’a pas encore de microonde. Karim : ah mais tu fais chier, je ne peux pas m’absenter, Majid n’est pas là, bon les gars soyez sages, je descends, je vais en profiter pour faire les frites.

Un jeune noir arrive et voulait acheter des boissons à emporter. Désolé, monsieur, le patron est parti faire une course. José intervient : laisse, c’est un frère, je vais m’en occuper. Il sert le gars et prend l’oseille qu’il met sur le comptoir.

Acte 1 – Scène 3

Karim remonte avec la barquette. Quelques minutes après, il redescend et remonte avec des frites.

Il les propose aux noirs et à moi et j’en grignote quelques-unes. On papote. Des vieilles françaises arrivent. Elles prennent la place des vieux Kabyles. Je n’avais pas vu qu’ils étaient partis. Bonjour Mesdames, Bonjour Messieurs,… Deux thés, s’il vous plait.

Karim : bon, je vais appeler Moustapha et faire les moules et d’autres frites mais Majid n’est toujours pas là pour manger avec nous. Je regarde ma montre (enfin mon iPhone) : 16 heures. Oups. 3h15 de bistro (sans picoler). Je me casse.

Interlude

 Je rentre à la maison, fais à bouffer, manger, une sieste.

Acte 2 – Scène 1
                                                                                                                                        
18h30, je suis de retour à l’Aéro. Il y a toujours le Sénégalais, José, Edouard, côté noirs, et « Macrame » (?) et un autre gars que j’aime bien, une armoire à glace, comme José. C’est un peu le chef de la bande de Kabyles, ou, plus exactement, le modérateur, celui qui les empêche de faire des conneries.

Jean-Luc, artisan dans le quartier, gendre de l’ancien propriétaire de la commerce, arrive. J’en ai parlé vendredi soir, c’est lui m’a dit que Led Zep avait joué à Bicêtre en 1969. Il était accompagné du serrurier de chez Leclerc.

Karim le reconnait et commence à raconter son histoire de clé cassée par son fils dans la serrure. A mais c’est vraiment de la mauvaise qualité et tout ça. Il la raconte 50 fois, au moins ! Le serrurier prend ça pour lui et part.

Acte 2 – Scène 3

Jean-Luc et moi buvons un verre puis il part. Voila le vieux Joël. Nous discutons normalement mais il était pressé.

Acte 2 – Scène 4

JP (Jean-Pierre, Jean-Paul,… qui sait ?) se pointe. Il vient de Guyane, je le connais depuis longtemps. Il m’énerve. Depuis le début, il me serre la main en disant « bonjour directeur ». Si José et Edouard avaient pris leur cuite à l’Aéro, je ne sais pas d’où venait celle de JP. Mais il était visiblement atteint. Je vais tout seul, dans mon coin, étant le seul à jeun (ce qui ne durera pas).

Je ne sais pas ce qu’il s’est passé…

J’ai entendu JP s’énerver : je t’ai dit de ne jamais me servir un verre avec deux bouteilles (je traduits : la première bouteille étant vide, le serveur le complète avec une autre bouteille). Karim l’engueule : mais tu rigoles, je viens d’ouvrir la bouteille devant toi, regarde, il manque la dose pour un verre. Le ton montre, je ne comprends rien. Karim commence à engueuler tous les noirs : « Vous les noirs… » et à leur sortir un tas d’imbécilités de pochetron avinés.

Le Sénégalais était parti avant et je me disais que José et Edouard n’allaient pas supporter les propos très racistes et allaient se barrer. Il aurait fallu que je les suive pas solidarité. Outre le fait que j’aurais eu du mal à trouver un autre bistro ouvert dans le quartier, je n’avais du tout envie de me fâcher avec Karim à qui ce genre de propos de ressemblent vraiment pas. Comme quoi, l’alcool fait ressortir le nationalisme et le racisme…  D’un autre côté, j’espérais bien qu’ils allaient partir : je ne voyais pas d’autre solution pour rétablir un certain ordre que de fermer le bistro.

Le ton a vraiment monté. José a voulu payer mais Karim l’a engueulé : ah, cette fois tu veux payer, ça change, avec le nombre de fois où tu as oublié. Je vous passe le détail.

 Mon pote, la grande armoire à glace Kabyle, le « modérateur », intervient et calme un peu le jeu. Surtout, pendant ce temps-là, le neveu de Karim arrive, un jeune gars qu’il héberge puisqu’il fait ses études à Paris. Karim s’est calmé immédiatement, a servi une tournée générale… sauf à moi. Mais y compris à JP.

José, Edouard et moi nous sortons faire le point. Mes camarades n’étaient pas fâchés. Ils étaient simplement peinés. Ils avaient bien vu que Karim n’en voulait qu’à JP et qu’il les avait englobés par erreur dans son délire. Je le confirme en reportant deux ou trois propos… Il est convenu que José allait rentrer chez lui sans payer immédiatement (il commençait à être tard, sa femme l’attendait) et qu’Edouard allait attendre JP vu qu’ils habitent à côté.

Acte 2 – Scène 5

On était donc deux Kabyles plus le patron du même métal, deux noirs et un gros. Edouard va aux toilettes. JP part en disant : je l’attends au bus.

Edouard revient, lui courre après. Macrame lui dit : « t’inquiète pas le bus n’est pas passé ». Edouard revient finir son verre puis va à l’arrêt de bus. Le bus était passé et personne ne l’avait vu. Du coup, il offre un verre aux deux Kabyles (et pas à moi, je vais finir par croire qu’ils m’en veulent).

Les deux Kabyles partent. Karim n’arrêtait pas de parler.

Je voyais bien qu’Edouard voulait me dire quelque chose. Je finis par comprendre qu’il veut s’excuser d’être comme ça ce soir mais qu’il est très triste, c’est un gars de son unité qui est mort au Mali récemment.

Il pleurait presque, d’autant que, comme Karim nous interrompais sans cesse, il n’arrivait pas à m’expliquer. Alors, je l’ai pris dans mes bras (d’où ce que je racontais en introduction).

Il finit par partir. Le neveu au patron avait rentré les tables de la terrasse, il restait à ce dernier à faire le ménage. Je m’attendais à partir.

Le téléphone sonne. C’était un ancien client qui téléphonait pour savoir si c’était ouvert et s’il pouvait passer. Dans une heure. Il était environ 22h00. Karim a répondu : ben oui, si c’est toi, je t’attends !

Chic ! Me dis-je alors, on va pouvoir trainer un peu…

Le gars a téléphoné tous les quarts d’heure pendant deux heures en disant à chaque fois qu’il arrivait dans une heure. Je commençais à me foutre de la gueule de Karim : il ne viendra pas. Mais je pouvais rester, ce qui était bien l’essentiel. Il est arrivé vers minuit.

Mais, entre-temps, je vous le jure, ça a duré deux heures, nous n’avons parlé que de ce gars, à un seul sujet : mais si tu le connais, Christophe, il est déjà venu ici, tu t’étais engueulé avec lui, tu vas voir, tu vas le reconnaitre quand il va rentrer, ça va te revenir, mais ce n’est pas possible, tu as Alzheimer ou quoi, déjà à ton âge, tu le connais, tu t’étais engueulé avec lui, tu l’avais envoyé chier alors qu’il te cassait les couilles, tu vas le reconnaitre, un militaire, il habitait Bicêtre, il est parti à Nanterre, mais si, tu connais, tu te fous de moi, là, tu vas le reconnaitre quand il va entrer, tu jouais avec ton iPhone, il voulait parler avec toi, tu ne voulais pas, tu l’as envoyé chier, j’te jure, c’est la vérité, sur la tête de mon fils.

Je vous jure, c’est la vérité : deux heures.

Acte 2 – Scène 5

Minuit. Le gars arrive amené par une grosse voiture (il est militaire et bosse dans une ambassade). Je ne peux jurer que je n’avais pas déjà vu.

Il avait quitté le quartier depuis 18 mois. Ils se sont donc raconté ce qu’ils avaient fait. Karim mentait sur à peu près tout. Il a réussi à convaincre le gars que son fils (18 ans…) avait acheté une grande brasserie et en était le patron et me demandait sans cesse de confirmer, et d’autres trucs comme ça…

J’ai laissé faire. Je ne savais pas qu’on pouvait mentir à ce point-là. Mais jamais, suite à un mensonge, il a dit : j’te jure, c’est la vérité, sur la tête de mon fils. Je conclus donc que quand il ne termine pas une phrase ainsi, c’est qu’il ment.

Je regarde l’heure sur mon iPhone. 1h30. J’étais resté sept heures à ce comptoir, après les trois du début d’après-midi, debout, à ce comptoir, à observer le monde qui tournait.


Je suis rentré : j’avais faim.

15 commentaires:

  1. Il faut avoir fait l'ENA pour acheter des patates, de nos jours. Cela dit, avec la Bintje, y a pas d'erreur.

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    1. C'était moins compliqué, avant.

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    2. Vile réactionnaire ! Mais tu as raison. Cela étant, en tant que célibataire, je ne fais jamais de frite ou de purée, donc je me fous du type de patate. Je les cuis à l'eau et éventuellement je les fais revenir dans du beurre ou de l'huile. J'achète donc les plus grosses (moins chiantes à éplucher), les moins chères, sauf si elles sont "spéciales purée" (impossible à faire revenir).

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  2. Un grand moment.
    C'est pour ça que j'aime les bistrots.
    Toutes ces histoires, ces personnages que les lieux rendent pittoresques alors que ce ne sont que de simples quidams. Des années que j'use mes coudes sur les comptoirs, j'ai eu souvent l'envie de noter tout ce que j'ai entendu et essayer d'en faire quelque chose. Mais d'une part ça a déjà été fait mille fois et d'autre part je n'ai pas le talent nécessaire. Alors je collectionne juste dans des coins de tête les anecdotes les plus piquantes.

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    1. Détrompe pas. Ça n'a pas était fait mille fois. Personne ne peut le faire (mes chevilles...) et si je l'ai fait, c'est par hasard. Je m'explique. L'acte 1 m'avait fait rire. N'ayant pas bu, quand j'ai quitté le bistro à 16 heures, j'ai eu l'idée de billet et j'ai rédigé la première partie du billet (avant "acte 1") en faisant la cuisine et en déjeunant. (Vingt minutes). Il était, en gros, 17 heures. L'envie de sieste m'a pris.

      Déjà, il faut qu'un type boive suffisamment peu ou tienne suffisamment la marée pour tenir trois heures de comptoir. Il n'y a personne (mes chevilles, toujours). Aimer le comptoir sans prendre des murges...

      Ce matin, je me suis rappelé de ce que j'avais commencé à rédiger. Je me suis dit : hop. Faut le finir. C'était parti. Jamais un billet a été aussi long chez moi. Surtout, jamais un billet n'a été aussi long sans que je le sache au départ.

      Pendant un temps, j'adorais les brèves de comptoir de Gourio. J'ai tourné la page quand Carmet tenait le rôle dans Palace car on avait pas le contexte et qu'il était habillé en smoking.

      Je les relis parfois, en revanche, mais je me concentre sur les circonstances qui ont pu permettre à tel ou tel abruti de sortir la connerie.

      Avec le temps que je passe au comptoir, je serais capable de sortir un "brève de comptoir" par mois. Mais je ne note pas. Tiens Odette à côté de moi viens de murmurer "ah ben je vais rentrer". Tout propos de bistro mérite d'être noté. Mais seul le contexte compte. Elle est arrivée et a commandé un Ricard alors qu'elle commence toujours les apéros avec un Kir. Elle avait donc bu ailleurs. Ses propos veulent donc dire : bon j'ai assez bu, je m'en vais, mais si l'un d'entre vous ma paye un verre, je vais l'accepter.

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    2. Il y a encore quelques 'brèves" chez Vents contraires http://www.ventscontraires.net/article.cfm/13872_reves_minuscules_de_comptoir_#22.html , j'aime bien.
      Tu disais : "Déjà, il faut qu'un type boive suffisamment peu ou tienne suffisamment la marée pour tenir trois heures de comptoir. Il n'y a personne (mes chevilles, toujours). Aimer le comptoir sans prendre des murges..."
      J'aime les comptoirs et j'ai cet avantage (si tant est que ce soit un avantage....des fois je me demande....) de ne pas boire une seule goutte d'alcool. Seul le temps me manque maintenant pour traîner des heures au bistrot. Le temps et le talent pour pouvoir retranscrire tout ce qui s'y dit, tout ce qui s'y passe.J'ai envie de sortes d’instantanés; tu te souviens des Polaroids ? Un peu comme des concentrés de civilisation.
      Peut-être qu'un jour (il faudrait que je me grouille un peu) je m'y mettrai malgré tout. Ça donnera ce que ça voudra bien donner.

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    3. J'ai l'avantage de tenir l'alcool extraordinairement bien. Par moment. Je dis bien par moment.

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  3. On se saura jamais si les frites était tout de même bonnes... Et sinon les moules ?

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  4. Il y a aussi des clients qui nourrissent bien l'atmosphère. Quand ils ne sont pas là, rien ne se passe. Il se dit des banalités tellement banales que même en torturant l'historique et le double sens de leur paroles, s'il y en a, on ne trouve rien de rien. Il fait beau (oui mais ça ne va pas durer). Il pleut.(oui mais la météo avait prévu du beau temps, ils se gourent tout le temps à la météo). Bon ben on y va, la journée va pas se faire toute seule.

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    1. C'est ceux là que j'aime ! En fait, la plupart des conversations de bistro sont sans le moindre intérêt (sauf quand on est dedans). Hier midi, il y avait deux lascars à côté de moi qui parlaient politique. C'était rigolo, ils étaient de droite et partaient comme postulat que tous les présidents jusqu'à Chirac (y compris lui) étaient honnêtes et avaient un rapport à l'argent très sain contrairement à Sarkozy et Hollande. Et les voila à refaire le monde, discrètement, entre eux deux.

      Parler de la météo, de la politique ou du rugby, quel intérêt ? Je prends volontiers ces exemples parce que ce sont des sujets fréquents à la Comète (les serveurs et la patronne sont fans de rugby). Avec mes compères, Tonnégrande et le vieux Joël, ce sont des sujets qu'on évite au comptoir (je dis bien au comptoir, ils nous arrivent souvent de parler politique quand on n'est pas au comptoir).

      Il y a aussi ceux qui parlent de boulot. Tiens ! Prochain billet ici, si je trouve matière.

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    2. Ou dans le blog geek car le billet que j'ai en tête est professionnel.

      Ce que je voulais dire c'est que les mecs sont plongés dans des conversations sans le moindre intérêt s'ils ont le même boulot et disent toujours les mêmes trucs.

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