Comme j’ai la réputation de boire de la bière (je ne sais
pas pourquoi), quand un type me donne un rendez-vous pour boire un coup, il
choisit généralement un bar à bière ou un pub alors que j’ai horreur de ces
lieux et des bières un peu spéciales. Mon truc à moi, c’est le bistro, qu’il
soit tout petit comme l’Aéro ou gigantesque, genre grande brasserie.
Je ne vais pas en faire une théorie sauf si vous insistez. Vous
insistez. Bien.
Tout d’abord, le produit : la bière pression. La
température idéale de la bière est aux alentours de 6 à 8 degrés. Elles sont
souvent servies plus fraiches car elles se réchauffent naturellement dans votre
verre. Or cette fraicheur casse le goût, exactement comme pour le pinard.
Imaginions que vous achetiez du vin et que vous ne l’appréciez pas
spécialement. Vous le mettez au frigo et vous le buvez quand il a atteint 12° avec
un repas ordinaire, une salade, une grillade,… Il passera très bien.
Prenons deux bistros au hasard mais pas trop : la
Comète et l’Aéro. Les deux sont séparés d’une cinquantaine de mètres et servent
les même bières, à savoir de la Kronenbourg ordinaire, de la 1664 et de la
Grimbergen (ou de la Leffe, j’ai un trou de mémoire). Prenez en suite un
consommateur de 1664, qui est par ailleurs une excellente bière. Vous le faites
boire une 1664 à la Comète puis à l’Aéro. Il va trouver une différence entre
les deux. Il ira même jusqu’à dire qu’elle est mauvaise à l’Aéro. Ce n’est pas
du snobisme : il y a bien une différence, tout d’abord de température mais
aussi de goût. Le tirage est moins important à l’Aéro donc le fut de bière dure
plus longtemps et a tendance à s’éventer. Vous vous mettez de mèche avec le
patron de l’Aéro et vous recommencez le lendemain. Une 1664 à la Comète, puis,
vous allez à l’Aéro qui servira une Kronenbourg ordinaire dans un verre à 1664.
Votre client amateur de 1664 la trouvera bonne. Vous faites dire au patron :
« Oui, plusieurs clients m’ont fait des remarques, j’ai changé le fût. »
De fait, il y a une différence entre les bières mais votre client la mettra sur
le compte de la température et finira par dire : « là, elle est
bonne, c’est quand même autre chose ! ».
Vous pouvez tester également avec la Grimbergen (ou la
Leffe) mais le goût est plus prononcé alors faites le boire trois Grim à la
Comète avant de changer de bistro. Il aura oublié le goût initial et acceptera
d’expliquer la différence par la qualité du fût.
Je résume : on aime bien la bière fraîche quand elle
est à la pression (et même en bouteille) et le froid casse le goût et j’ai mis
en évidence deux phénomène. Le premier est que la bière en fût ne se conserve
pas très longtemps. Ainsi, un petit bistro ne pourra pas servir assez de bières
spéciales en peu de temps pour conserver des bonnes bières. Néanmoins, les
usages font que la plupart des bistros proposent au minimum trois pressions :
une bière ordinaire, une spéciale et une bière d’abbaye. C’est parce que les
clients sont demandeurs mais c’est souvent du pur snobisme. Le deuxième est que
le palais est cassé au bout de deux ou trois bières, on ne sait plus relever
les différences si on n’est pas réellement connaisseur en bière.
Il y a probablement des amateurs de bière qui seront choqués
par ces propos qu'ils auront mal compris. Ce n'est pas très grave. Je vais le
refaire à l'envers. La plupart de ceux qui vous expliquent qu'ils aiment les
bonnes bières sont comme ceux qui prétendent connaître le vin et vont finir par
conchier les bons de vins de pays qui sont si agréables à boire avec des amis
sur la terrasse en attendant l'heure d'aller se coucher. Alors ils vont sortir
les bons Bourgogne et les bons Bordeaux (en expliquant, souvent, que les
Bourgogne sont supérieurs aux Bordeaux), faire les gestes qui vont avec, goûter
la première gorgée et savourer centilitre par centilitre. Ils ont raison, c'est
bon. Et le reste de la bouteille va y passer sans qu'il se rende compte... Ce
qui compte, c'est pourtant ce qui va avec le vin : le repas et surtout le bon
moment avec la famille et les amis.
Avec la bière, c'est pire ! On ne goûte pas la bière car
c'est bien la première gorgée, celle qui est si fraîche, qui est si agréable,
qui vous fait apprécier le moment...
Ainsi, je n'aime pas le folklore qui va avec le vin et
déteste celui qui va avec la bière. La bière est ce truc qui se boit en sortant
du métro ou du bureau... De mon réquisitoire, n'allez néanmoins pas en conclure
ce que je n'ai pas dit. J'aime le bon vin et les bonnes bières. Mais je vais
continuer ce réquisitoire.
La plupart des gens qui choisissent tel ou tel type de bière
parce qu'ils la préfèrent à une autre le font avec un certain snobisme et par
habitude. Je connais des lascars qui boivent toujours de la Heineken ou de la
Super Bock en bouteille. C'est un phénomène que je n'arrive pas à expliquer :
si tu aimes la bière de base, tu la bois à la pression. Qu'on puisse ne pas
aimer une bière ou aimer uniquement un type de bière est une chose. Par exemple
je n'aime pas les bières d'Abbaye alors que certains adorent ça. Je comprends.
Qu'on prenne toujours la même m'échappe, à quelques exceptions près. Par
exemple, parmi les blondes légères qu'on trouve habituellement dans les
bistros, la 1664 et la Carlsberg sont largement au-dessus du lot (au détail
près de ce que je disais en début de billet). Certaines sont même exceptionnelles
comme la Pilser Urquell.
"Une bonne bière fraîche en terrasse". Beaucoup
d'andouilles vont aimer siroter une bière en terrasse, au soleil, et prendre
leur temps. Je comprends ! La bière est la meilleure boisson que l'on puisse
boire au bistro en dehors des repas avec le Perrier et le café. C'est bien
agréable de prendre son temps, à glander au soleil. Il empêche qu'une bière
s'éventer et se réchauffe. Alors passer une demi-heure au soleil avec une bière
est grotesque.
Reprenons pour aller
à l’essentiel.
Je parlais de la première gorgée d’une bière, en sortant du
bureau ou du métro. Vous connaissez certainement le livre « la première gorgée
de bière et autres plaisirs minuscules » de Philippe Delerm. Il était
resté en tête des ventes pendant des semaines et des semaines. Ce livre avait
cartonné. Il décrit différents petits plaisirs de la vie.
Je vais recopier la partie essentielle, l’auteur et l’éditeur
ne m’en tiendront pas rigueur : elles sont sur le web : « C'est la seule qui compte. Les
autres, de plus en plus longues, de plus en plus anodines, ne donnent qu'un
empâtement tiédasse, une abondance gâcheuse. La dernière, peut-être, retrouve
avec la désillusion de finir un semblant de pouvoir... Mais la première gorgée!
Gorgée ? Ça commence bien avant la gorge. Sur les lèvres déjà cet or mousseux,
fraîcheur amplifiée par l'écume, puis lentement sur le palais bonheur tamisé
d'amertume. Comme elle semble longue, la première gorgée! On la boit tout de suite,
avec une avidité faussement instinctive. En fait, tout est écrit, la quantité,
ce ni trop ni trop peu qui fait l'amorce idéale ; le bien-être immédiat ponctué
par un soupir, un claquement de langue, ou un silence qui les vaut; la
sensation trompeuse d'un plaisir qui s'ouvre à l'infini... En même temps, on
sait déjà. Tout le meilleur est pris. On repose son verre, et on l'éloigne même
un peu sur le petit carré buvardeux. On savoure la couleur, faux miel, soleil
froid. Par tout un rituel de sagesse et d'attente, on voudrait maîtriser le
miracle qui vient à la fois de se produire et de s'échapper. On lit avec
satisfaction sur la paroi du verre le nom précis de la bière que l'on avait
commandée. Mais contenant et contenu peuvent s'interroger, se répondre en
abîme, rien ne se multipliera plus. On aimerait garder le secret de l'or pur,
et l'enfermer dans des formules. Mais devant sa petite table blanche
éclaboussée de soleil, l'alchimiste déçu ne sauve que les apparences, et boit
de plus en plus de bière avec de moins en moins de joie. C'est un bonheur amer
: on boit pour oublier la première gorgée. »
Qu’on aime ou qu’on n’aime pas le texte, Delerm a raison. La
première gorgée est essentielle et on « y » savoure le simple fait de
boire une bière. Depuis quelques temps, je finis le boulot assez tard. La
première chose que je fais est d’aller au bistro ce qui, en 27 ans de métier, ne
m’étais jamais arrivé quand je finissais à une heure raisonnable. Et j’y
retrouve ce bonheur qui ne nécessite que deux choses : de la bière qui ne
soit pas mauvaise (ben oui, je parle des bières ordinaires mais j’en connais
qui sont réellement à chier) et qui soit légère…
Cela étant, pourquoi payer 4€50 un verre alors que le
plaisir est le même avec 2€20 ?
Pourquoi aller dans un bar spécialisé en bière alors que la
moindre brasserie peut donner ce plaisir (à part pour l’ambiance, fort appréciable,
qui peut y régner) d’autant que dès la deuxième gorgée, le plaisir s’estompera… ?
Magnifique billet. Et tres belle conclusion
RépondreSupprimerMerci.
SupprimerQuand je pense que c'est Heineken qu'a racheté Adelshoffen... la reine !
RépondreSupprimerBah.
Supprimer"La première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules"... figure en bonne place dans ma bibliothèque...Beau billet qui réjouit l'amateur du simple demi pression que je suis...Et aussi l'amateur de petits vins si délicieux qui nous accompagnent tard dans la nuit à refaire le monde...
RépondreSupprimerMerci. Et vive les petits vins délicieux. Il y a quelques mois, ma mère avait repéré un petit côtés du Rhône à un pris sympathique. Genre 2€50 ma bouteille. Elle n'est pas rapiat, elle est comme moi, il faut du tout venant. C'est un pur bonheur.
SupprimerEt quand on refait le monde, il vaut mieux en avoir plusieurs bouteilles...
SupprimerOui. Enfin avec ma mère on se limite à une demi...
SupprimerOui, bien sûr...Personnellement, je n'ai jamais refait le monde avec ma mère, mais quand les potes sont à la maison, il vaut mieux avoir quelques munitions...
Supprimer"Contre" la bière ... enfin ! ... "Tout contre !!!!!" :o)
RépondreSupprimerBISES et bonne continuation Nico !!!!
Voila, tout contre !
SupprimerBillet majestueux, bravo.
RépondreSupprimerMerci.
SupprimerNom d'un strobile de houblon, voici un billet désaltérant !
RépondreSupprimerOui hein !
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