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08 décembre 2014

Contre la bière !

Comme j’ai la réputation de boire de la bière (je ne sais pas pourquoi), quand un type me donne un rendez-vous pour boire un coup, il choisit généralement un bar à bière ou un pub alors que j’ai horreur de ces lieux et des bières un peu spéciales. Mon truc à moi, c’est le bistro, qu’il soit tout petit comme l’Aéro ou gigantesque, genre grande brasserie.

Je ne vais pas en faire une théorie sauf si vous insistez. Vous insistez. Bien.

Tout d’abord, le produit : la bière pression. La température idéale de la bière est aux alentours de 6 à 8 degrés. Elles sont souvent servies plus fraiches car elles se réchauffent naturellement dans votre verre. Or cette fraicheur casse le goût, exactement comme pour le pinard. Imaginions que vous achetiez du vin et que vous ne l’appréciez pas spécialement. Vous le mettez au frigo et vous le buvez quand il a atteint 12° avec un repas ordinaire, une salade, une grillade,… Il passera très bien.

Prenons deux bistros au hasard mais pas trop : la Comète et l’Aéro. Les deux sont séparés d’une cinquantaine de mètres et servent les même bières, à savoir de la Kronenbourg ordinaire, de la 1664 et de la Grimbergen (ou de la Leffe, j’ai un trou de mémoire). Prenez en suite un consommateur de 1664, qui est par ailleurs une excellente bière. Vous le faites boire une 1664 à la Comète puis à l’Aéro. Il va trouver une différence entre les deux. Il ira même jusqu’à dire qu’elle est mauvaise à l’Aéro. Ce n’est pas du snobisme : il y a bien une différence, tout d’abord de température mais aussi de goût. Le tirage est moins important à l’Aéro donc le fut de bière dure plus longtemps et a tendance à s’éventer. Vous vous mettez de mèche avec le patron de l’Aéro et vous recommencez le lendemain. Une 1664 à la Comète, puis, vous allez à l’Aéro qui servira une Kronenbourg ordinaire dans un verre à 1664. Votre client amateur de 1664 la trouvera bonne. Vous faites dire au patron : « Oui, plusieurs clients m’ont fait des remarques, j’ai changé le fût. » De fait, il y a une différence entre les bières mais votre client la mettra sur le compte de la température et finira par dire : « là, elle est bonne, c’est quand même autre chose ! ».

Vous pouvez tester également avec la Grimbergen (ou la Leffe) mais le goût est plus prononcé alors faites le boire trois Grim à la Comète avant de changer de bistro. Il aura oublié le goût initial et acceptera d’expliquer la différence par la qualité du fût.

Je résume : on aime bien la bière fraîche quand elle est à la pression (et même en bouteille) et le froid casse le goût et j’ai mis en évidence deux phénomène. Le premier est que la bière en fût ne se conserve pas très longtemps. Ainsi, un petit bistro ne pourra pas servir assez de bières spéciales en peu de temps pour conserver des bonnes bières. Néanmoins, les usages font que la plupart des bistros proposent au minimum trois pressions : une bière ordinaire, une spéciale et une bière d’abbaye. C’est parce que les clients sont demandeurs mais c’est souvent du pur snobisme. Le deuxième est que le palais est cassé au bout de deux ou trois bières, on ne sait plus relever les différences si on n’est pas réellement connaisseur en bière.

Il y a probablement des amateurs de bière qui seront choqués par ces propos qu'ils auront mal compris. Ce n'est pas très grave. Je vais le refaire à l'envers. La plupart de ceux qui vous expliquent qu'ils aiment les bonnes bières sont comme ceux qui prétendent connaître le vin et vont finir par conchier les bons de vins de pays qui sont si agréables à boire avec des amis sur la terrasse en attendant l'heure d'aller se coucher. Alors ils vont sortir les bons Bourgogne et les bons Bordeaux (en expliquant, souvent, que les Bourgogne sont supérieurs aux Bordeaux), faire les gestes qui vont avec, goûter la première gorgée et savourer centilitre par centilitre. Ils ont raison, c'est bon. Et le reste de la bouteille va y passer sans qu'il se rende compte... Ce qui compte, c'est pourtant ce qui va avec le vin : le repas et surtout le bon moment avec la famille et les amis.

Avec la bière, c'est pire ! On ne goûte pas la bière car c'est bien la première gorgée, celle qui est si fraîche, qui est si agréable, qui vous fait apprécier le moment...

Ainsi, je n'aime pas le folklore qui va avec le vin et déteste celui qui va avec la bière. La bière est ce truc qui se boit en sortant du métro ou du bureau... De mon réquisitoire, n'allez néanmoins pas en conclure ce que je n'ai pas dit. J'aime le bon vin et les bonnes bières. Mais je vais continuer ce réquisitoire.

La plupart des gens qui choisissent tel ou tel type de bière parce qu'ils la préfèrent à une autre le font avec un certain snobisme et par habitude. Je connais des lascars qui boivent toujours de la Heineken ou de la Super Bock en bouteille. C'est un phénomène que je n'arrive pas à expliquer : si tu aimes la bière de base, tu la bois à la pression. Qu'on puisse ne pas aimer une bière ou aimer uniquement un type de bière est une chose. Par exemple je n'aime pas les bières d'Abbaye alors que certains adorent ça. Je comprends. Qu'on prenne toujours la même m'échappe, à quelques exceptions près. Par exemple, parmi les blondes légères qu'on trouve habituellement dans les bistros, la 1664 et la Carlsberg sont largement au-dessus du lot (au détail près de ce que je disais en début de billet). Certaines sont même exceptionnelles comme la Pilser Urquell.

"Une bonne bière fraîche en terrasse". Beaucoup d'andouilles vont aimer siroter une bière en terrasse, au soleil, et prendre leur temps. Je comprends ! La bière est la meilleure boisson que l'on puisse boire au bistro en dehors des repas avec le Perrier et le café. C'est bien agréable de prendre son temps, à glander au soleil. Il empêche qu'une bière s'éventer et se réchauffe. Alors passer une demi-heure au soleil avec une bière est grotesque.

Reprenons pour aller à l’essentiel.

Je parlais de la première gorgée d’une bière, en sortant du bureau ou du métro. Vous connaissez certainement le livre « la première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules » de Philippe Delerm. Il était resté en tête des ventes pendant des semaines et des semaines. Ce livre avait cartonné. Il décrit différents petits plaisirs de la vie.

Je vais recopier la partie essentielle, l’auteur et l’éditeur ne m’en tiendront pas rigueur : elles sont sur le web : « C'est la seule qui compte. Les autres, de plus en plus longues, de plus en plus anodines, ne donnent qu'un empâtement tiédasse, une abondance gâcheuse. La dernière, peut-être, retrouve avec la désillusion de finir un semblant de pouvoir... Mais la première gorgée! Gorgée ? Ça commence bien avant la gorge. Sur les lèvres déjà cet or mousseux, fraîcheur amplifiée par l'écume, puis lentement sur le palais bonheur tamisé d'amertume. Comme elle semble longue, la première gorgée! On la boit tout de suite, avec une avidité faussement instinctive. En fait, tout est écrit, la quantité, ce ni trop ni trop peu qui fait l'amorce idéale ; le bien-être immédiat ponctué par un soupir, un claquement de langue, ou un silence qui les vaut; la sensation trompeuse d'un plaisir qui s'ouvre à l'infini... En même temps, on sait déjà. Tout le meilleur est pris. On repose son verre, et on l'éloigne même un peu sur le petit carré buvardeux. On savoure la couleur, faux miel, soleil froid. Par tout un rituel de sagesse et d'attente, on voudrait maîtriser le miracle qui vient à la fois de se produire et de s'échapper. On lit avec satisfaction sur la paroi du verre le nom précis de la bière que l'on avait commandée. Mais contenant et contenu peuvent s'interroger, se répondre en abîme, rien ne se multipliera plus. On aimerait garder le secret de l'or pur, et l'enfermer dans des formules. Mais devant sa petite table blanche éclaboussée de soleil, l'alchimiste déçu ne sauve que les apparences, et boit de plus en plus de bière avec de moins en moins de joie. C'est un bonheur amer : on boit pour oublier la première gorgée. »

Qu’on aime ou qu’on n’aime pas le texte, Delerm a raison. La première gorgée est essentielle et on « y » savoure le simple fait de boire une bière. Depuis quelques temps, je finis le boulot assez tard. La première chose que je fais est d’aller au bistro ce qui, en 27 ans de métier, ne m’étais jamais arrivé quand je finissais à une heure raisonnable. Et j’y retrouve ce bonheur qui ne nécessite que deux choses : de la bière qui ne soit pas mauvaise (ben oui, je parle des bières ordinaires mais j’en connais qui sont réellement à chier) et qui soit légère…

Cela étant, pourquoi payer 4€50 un verre alors que le plaisir est le même avec 2€20 ?


Pourquoi aller dans un bar spécialisé en bière alors que la moindre brasserie peut donner ce plaisir (à part pour l’ambiance, fort appréciable, qui peut y régner) d’autant que dès la deuxième gorgée, le plaisir s’estompera… ?

15 commentaires:

  1. Magnifique billet. Et tres belle conclusion

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  2. Quand je pense que c'est Heineken qu'a racheté Adelshoffen... la reine !

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  3. "La première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules"... figure en bonne place dans ma bibliothèque...Beau billet qui réjouit l'amateur du simple demi pression que je suis...Et aussi l'amateur de petits vins si délicieux qui nous accompagnent tard dans la nuit à refaire le monde...

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    1. Merci. Et vive les petits vins délicieux. Il y a quelques mois, ma mère avait repéré un petit côtés du Rhône à un pris sympathique. Genre 2€50 ma bouteille. Elle n'est pas rapiat, elle est comme moi, il faut du tout venant. C'est un pur bonheur.

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    2. Et quand on refait le monde, il vaut mieux en avoir plusieurs bouteilles...

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    3. Oui. Enfin avec ma mère on se limite à une demi...

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    4. Oui, bien sûr...Personnellement, je n'ai jamais refait le monde avec ma mère, mais quand les potes sont à la maison, il vaut mieux avoir quelques munitions...

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  4. "Contre" la bière ... enfin ! ... "Tout contre !!!!!" :o)

    BISES et bonne continuation Nico !!!!

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  5. Nom d'un strobile de houblon, voici un billet désaltérant !

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