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11 décembre 2014

Le remplaçant

Fernand a presque 65 ans. Il part à la retraite à la fin du mois. Il a commencé à travailler le 14 juillet 1964 (mais à l'époque, les gens ne pensaient pas en priorité à cotiser pour la retraite). 50 ans au compteur. Dont une vingtaine au comptoir de cette grande brasserie où je déjeune tous les midis depuis deux ans. 6h30 - 16h. 5 jours par semaine. 46 semaines par an. 

Je ne suis pas sur mon blog politique mais je vais faire un aparté. Quand je vois mes confrères défendre des acquis sociaux, je rigole. Disons 50 ans, 9 heures par jour. 5 jours par semaine. 46 semaines. 2300 heures par an. Ils devraient penser à avoir une vision globale de la société, ce qui, à mon sens, est un truc de gauche, comme le partage du travail, des richesses. Ils devraient penser à ne pas défendre que les 10 millions de salariés des grandes entreprises... Et pas les 35 millions d'autres électeurs. Après, ils s'étonnent que la gauche ne soit au pouvoir qu'occasionnellement. Bref...

Son remplaçant est arrivé hier. C'est visiblement un professionnel, c'est-à-dire quelqu'un avec des compétences supérieures à celle des loufiats ordinaires que l'on voit souvent. J'ai du nez pour les détecter, ayant vu défiler tellement de monde ici ou dans d'autres bistros. 

Je mange toujours à côté de la même dame. On a vaguement sympathisé mais elle est un peu comme moi : elle ne vient pas au bistro pour discuter avec des inconnus ou se faire des potes. 

Ce midi, elle m'a dit : après le départ de Fernand, je ne crois pas que je vais continuer à venir. J'ai argumenté dix secondes et elle a reconnu avoir dit des conneries. 

Ainsi, le remplaçant, le petit nouveau doit jouer avec cela : les habitués qui viennent parce que c'est Fernand qui les sert. 

Fernand avait pris une semaine de vacances à la Toussaint. Auparavant, il prenait toujours des vacances en même temps que moi, ce qui fait que j'ai rarement été servi par quelqu'un d'autre que lui. Je pourrais néanmoins dire la même chose des autres remplaçants que j'ai connus ailleurs. 

Tous tentaient de démontrer qu'ils étaient mieux que le titulaire, ce qui est évidemment une grosse connerie. Le titulaire connaît mieux la maison que lui, nos habitudes,... Et en plus on vient aussi parce qu'on l'apprécie. 

Tous tentaient de démontrer qu'on serait aussi bien avec lui, qu'il était sympathique, discret, efficace,... 

Pas le remplaçant de Fernand. Il nous montrait, maladroitement, faussement peut-être, qu'il allait tenter de remplacer l'irremplaçable, qu'il en était désolé mais qu'il fallait bien que Fernand vive sa vie et sa retraite. Qu'il était là malgré lui, par respect pour Fernand, pour le laisser nous quitter. Il s'excusait de ses bourdes. Il m'a dit, ce midi : je suis désolé, j'ai oublié ce que vous avez mangé hier. Je lui ai répondu : un sandwich au pâté. Il a dit : ah oui, je vous en remet hein aujourd'hui. J'ai accepté alors que le plat du jour est un coq au vin. J'avais pris le sans-souci hier parce que le plat du jour était une escalope de dinde milanaise avec des tagliatelles. Je conchier les escalopes de dindes milanaises avec des tagliatelles. Le veau est meilleur que la dinde mais ces connards de clients préfèrent la dinde car c'est plus tendre. La sauce milanaise n'a aucun intérêt et la bouffer avec des tagliatelles est un coup à se tacher la chemise. D'ailleurs, je crois bien que je n'aime pas les nouilles autrement que dans un plat fait au toutous d'elles comme les bolognaises. C'est aussi pour ça que j'aime les restaurant italiens. On sert d'abord des pâtes puis la viandes. Il y a des exceptions. Par exemple, des ris de veau peuvent être servis avec des coquillettes.  De la soupe avec du vermicelle. Une escalope de dinde n'a pas à etre mangée avec des pâtes. Des pommes sautées ou des haricots verts seraient parfaites. Et pas avec une sauce à base de tomates. Et la crème fraîche et les champignons, vous connaissez ? Je digresse. Du verbe digresser. Revenons à notre remplaçant remplaçant l'irremplaçable. Ou alors, simplement panées avec une goutte de citron, du beurre et des nouilles ordinaires. 

J'en étais où ? 

Ah oui. 

Le remplaçant assumait son rôle. Il assumait son rôle. Il n'était pas là pour nous dire qu'il serait meilleur que Fernand, voire aussi bon. Il n'était pas non plus le contraire en montrant qu'il était là par hasard, que l'on devait faire avec ou aller se faire enculer. 

Il nous montrait qu'il ferait tout pour être à la hauteur de nos exigences, espérer qu'on pourrait le supporter comme remplaçant de Fernand pour finir par être notre nouveau Fernand. 

Je l'aime déjà. 

Je vous disais que j'avais du nez et compris qu'il était un pro. Il n'a pas essayé d'être lui, un personnage,... Comme tous les autres. Mais qu'il est ce qu'on voudrait qu'il soit. Donc ce qu'il est. 

Chapeau l'artiste. 

9 commentaires:

  1. Notez : les clients non plus ne sont pas irremplaçables...

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    1. Détrompez-vous. Tous les bistro qui tournent relativement bien et ont voulu changer de clientèle de sont plantés. La Comète est un bon exemple. Changement de patron en janvier 2008. Affaire coulée en 5 mois (pas de la faute des gérants mais du propriétaire). Changement de patron en juin 1998. Démarrage tonitruant (mais par hasard, un centre commercial se construisait dans le quartier, ils avaient les contremaîtres et ingénieurs comme client). Affaire coulée le soir en voulant changer de clients mais gagnant beaucoup de pognon le midi. Affaire coulée deux mois après l'ouverture du centre commercial. La faute au gérant qui n'a pas analysé ses erreurs alors que je le lui expliquais les couilles. Le jour de la fermeture, il niait son échec et les causes.

      Changement de gérant en juin 2010 (pas de propriétaire). L'affaire tourne bien parce que les patrons ont laissé faire la clientèle.

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  2. Y a rien de tel que les patrons ou gérants de père en fils ........ ou pas

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    1. Certes, mais les grosses brasseries ont toujours un barman !

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    2. Certes !

      J'aurais du être plus précis dans mon mail : je parle de ces restaurants où les clients viennent manger, seuls au comptoir mais sont des habitués, ils aiment bien leur petites habitudes. Par exemple, quand j'arrive dans celui-ci, j'ai ma place réservée... Le loufiat ne laisse personne s'installer là jusqu'à environ 12h45 car il ne sait pas si je vais venir (sur 20 jours de travail, je viens là 17 ou 18 fois, en moyenne et je préviens généralement à l'avance quand je ne suis pas là). Dès que j'arrive il me sert un demi puis, si le plat du jour est du poisson, me retire mon set de table car il sait que je vais prendre un sandwich.

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    3. Local étant à prendre dans le sens géographique comme si j'avais dit communal

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