Avant les vacances de Noël, j’avais pondu un billet à propos
du serveur qui allait remplacer l’ancien qui partait en retraite dans le bistro
où je bouffe le midi. J’avais dit qu’il était parfait ce en quoi je m’étais
vautré lamentablement : il ne faisait pas l’affaire et a été rapidement
lourdé. L’ancien est revenu une semaine pour en former un autre. C’était
rigolo, comme si c’était une formation au pas de charge, avec un tas d’ordre :
- Tiens, le monsieur semble avoir fini, tu peux
lui demander confirmation, retirer son assiette et lui demander s’il veut autre
chose,
- Tiens, les clients sont partis, débarrasse ce
coin de comptoir,
- Tiens, puisque tu as pris la commande, amène le
pain et les couverts, ils ne viendront pas tout seul,
- Tiens, mais tu feras la vaisselle plus tard,
vérifie donc si les clients n’ont besoin de rien,
- Tiens, ne laisse jamais rien trainer sur le
comptoir, ramasse au fur et à mesure sinon tu seras dans le jus et ne seras pas
où accueillir les nouveaux clients,
- Tiens, tu n’as rien à faire pendant une ou deux
minutes, commence ta vaisselle, sinon tu ne seras jamais prêt à 15 heures…
De fait, j’ai plus appris en une semaine intensive qu’en
trente ans de comptoir. Pourtant, j’ai un bon instinct. Depuis, j’essaie de
prendre en défaut les serveurs de la Comète mais je n’y arrive pas.
Par contre, depuis que l’ancien est parti, c’est le bordel.
Le remplaçant du remplaçant ne fait pas l’affaire, à un point que je me demande
depuis si je ne vais pas intervenir. Ce midi, je me suis presque décidé à le
faire car, en plus, il mettait ses propres boulettes sur le dos de ses
collègues, du genre : « ah mais j’avais demandé à mon collègue de
faire le sandwich » ou « c’est en cuisine qu’ils sont dans le jus. »
Si on ajoute à cela qu’une bande de clients abruti traine
depuis une semaine ou deux au comptoir et font du bruit, j’ai bien envie de
changer de crèmerie. Tiens ! Je parlerai de ces gars dans mon blog geek d’ici
peu.
Intervenir ? Que puis-je faire ? En parler au
patron. Je ne suis pas une balance et, surtout, je m’interdis d’entrer dans les
affaires d’un bistro. En outre, celui-là est le seul où je suis habitué depuis
plusieurs années dont je ne connais pas les patrons. Dans l’histoire de la
Comète, pourtant, je suis intervenu trois fois, je crois. Les trois fois, j’avais
raison, non pas sur le fait d’intervenir mais sur le fait que les agissements
du serveur n’allaient pas dans le sens des intérêts de la maison.
Hop ! Je vais vous les raconter.
La première fois, c’était le soir où Bruno nous a annoncé qu’il
s’arrêtait, qu’il ne reprenait plus la gérance, donc en juin 2010. Alors que
les autres clients étaient partis. Quand tous les clients étaient partis, avec Bruno,
on a discuté longuement de ce qui n’avait pas fonctionné dans son bistro et il
avait complètement zappé le personnel du soir (tous les midis, il était là)
dont deux proches à lui qui étaient nuisibles. Je voulais le lui dire mais il
ne m’a pas laissé parler, ou, du moins défendait leurs conneries. Dès le début,
je n’avais pas pu les blairer tout en ayant une certaine affection pour eux et
en me disant que je serai toujours dans le quartier après leur départ. En gros,
dès que le patron partait, les clients en salle étaient servis à peu près
normalement s’il y en avait beaucoup mais dès qu’ils avaient l’occasion de se
relâcher, c’était le bordel dans le bistro. Ils allaient acheter des bouteilles
de whisky à l’épicerie d’à côté et se pochetronnaient. Je me suis toujours
demandé s’ils ne tapaient pas dans la caisse ou ne vendaient pas des verres à
partir de bouteilles qu’ils avaient eux-mêmes acheté. C’est un truc que je ne
supporte pas : la tenue d’un bistro nécessite une confiance entre le
patron et les salariés qui bossent quand il n’est pas là… Je me répète :
il ne m’a pas laissé parler alors que je voulais le mettre en garde pour de
nouvelles affaires. J’aurais crié : ne prends pas de serveurs à trop forte
personnalité, ils se prennent pour le patron et font ce qu’ils veulent.
La deuxième fois, c’était la patronne qui m’avait demandé ce
que je pensais d’un jeune serveur qui bossait là depuis quelques temps. Si elle
me posait la question, c’est qu’elle savait bien qu’il y avait un truc. Or, je
savais, et pas elle, qu’il allait partir dans moins d’un mois et visiblement
pas elle. Nous étions devenus très potes et il me faisait des confidences. C’est
d’ailleurs ce que je lui reprochais, il avait tendance à nous prendre pour des
copains et à oublier le volet professionnel de la chose. C’est peut-être la
première fois que je voyais un serveur ne pas faire la part des choses, ne pas
savoir si, à un moment donné, il était le serveur ou le copain. Et cela m’exaspérait.
En plus, tous les soirs, il était pressé de partir. Il disait au cuisinier de
fermer la cuisine à neuf heures avec une demi-heure d’avance et me disait que,
lui-même, n’était pas payé que jusqu’à 22 heures. De fait, la maison refusait
des clients avant 21h30 et il faisait tout pour faire croire que la maison ne
faisait pas restaurant le soir. C’est facile : il suffit de ne pas sortir
le menu et de ne pas mettre des couverts sur les tables. Alors, j’ai répondu en
quelques mots, à la patronne, du genre : il a du mal à faire la différence
entre les clients et les copains et a tendance à être très rapide à la
fermeture ce qui fait qu’on a l’impression de gêner, au comptoir.
La troisième fois, c’était après l’embauche d’un nouveau
serveur. Elle me dit : alors, il est bien, hein, le nouveau ? Pas de
bol, je ne le sentais pas et je le lui ai dit. Le plus drôle, c’est qu’il est
devenu un bon copain et que c’est elle, il me semble, qui a commencé à lui trouver
des défauts, d’autant que ses collègues ne l’aimaient pas du tout.
Ce midi, j’avais faim. Je me pointe. Je commande une bière et
un sandwich. Au bout de vingt minutes, je demande au serveur s’il ne m’a pas
oublié. Au bout d’une demi-heure, il m’a amené un sandwich. Il avait mal fait
son boulot, ne sachant pas gérer les priorités. Je le voyais, il était toujours
derrière le comptoir, essuyant la vaisselle, servant d’autres clients. Toutes
les consignes de l’ancien étaient oubliées.
Avant-hier, j’avais bondi : il avait apporté son plat à
un client avant de lui amener les couverts puis il est allé chercher une
corbeille de pain et le type avait dû réclamer une fourchette et un couteau. Et
je vois bien que les clients habitués commencent à ronchonner. Mais un client
habitué est un client habitué, il ne part pas s’il n’est pas content, il sait
que la situation s’améliorera parce que le patron ou le serveur partira un
jour.
Je ne connais pas les patrons de ce bistro. Le serveur
finira par partir ou j’irai manger dans la brasserie à côté. Je ne parlerai pas
au patron, il perdra sa clientèle d’habitués sans même savoir pourquoi, pensant
que le départ de l’ancien a marqué une page qui se tourne.
Ce midi, il y avait ses quatre clients bruyants, à côté de
moi. Ils boivent des pintes de Grimbergen. Forcément, au bout de deux verres,
le ton monte et chacun veut se faire entendre. Ils finissent par un Calva (que
l’un a renversé sur le comptoir devant moi). Le serveur leur a offert un autre
Calva, pour la deuxième fois de la semaine. C’est une faute professionnelle… Il
incite des clients bruyants à revenir et ne sert même pas une bière à un type
qui mange là tous les midis depuis deux ans.