De 2003 à 2008, je bossais à Ivry-sur-Seine (les jours où je
n’étais pas à Brest). Dans une rue où il y a le campement de Roms qui fait
parler de lui à l’occasion. Un immeuble ultra moderne au sein d’une zone un peu
louche, près de la cité Gagarine… Du coup, j’y connais un peu les commerces du
coin mais je les fréquentais peu, par réticence (en français : dans mon
précédent poste, j’allais souvent au bistro dans le quartier, le soir, et j’arrivais
à des heures peu croyables à Bicêtre, j’avais donc mis un gros stop. Depuis mon
dernier changement, par contre, je traine beaucoup dans les bistros à côté du
bureau). La cantine de la boite était très bien donc j’y mangeais tous les
jours. J’arrivais en voiture, je mangeais là, je repartais en voiture. Je ne
fréquentais donc qu’occasionnellement les bistros du coin.
En 2008, j’ai été muté à la Défense, puis dans le 15ème
puis à nouveau à la Défense. Depuis hier, je suis en stage là-bas. Ca me
faisait chier d’ailler bouffer à la cantine (les autres stagiaires bossent là
et bouffent avec leurs collègues). Il n’y a rien de plus chiant que de bouffer
tout seul dans une cantine alors que dans un bistro, c’est le bonheur.
Je suis donc parti à la recherche d’un bistro que je
connaissais vaguement mais il ne faisait pas à manger. C’est ainsi que j’ai
déboulé par hasard dans le « bar des sports » à Ivry-sur-Seine. Hier,
je n’avais pas trop le choix, faute de temps. Il y avait des travaux dans la
rue (les gars refaisaient le goudron), c’était l’enfer. Il n’empêche que j’ai
été immédiatement séduite par ce bistro, le pire ou presque de tous ceux que j’ai
fréquentés mais avec un patron et un patronne, portugais, d’un gentillesse et d’une
sympathie hors du commun. A cause du bruit, j’étais le seul client. Les rideaux
étaient fermés pour empêcher les rayons de soleil d’entrer sournoisement. Je me
suis trouvé figé comme si j’étais bloqué dans les années 60… Je demande s’ils
font des sandwiches (la patron était au comptoir, la patronne – je ne savais
pas qu’elle l’était – mangeait en salle). La patron me dit oui et me demande ce
que je veux. Il appelle sa femme pour tenir le comptoir et est parti dans une
boulangerie voisine acheter du pain. « Comme ça il est toujours frais »,
qu’il m’explique. La patronne va me le remplir de pâté (2/3 de la baguette !).
Elle revient. Le patron va, à son tour, déjeuner (vous en connaissez beaucoup
des patrons de bistros qui mangent à 12h30 ?) et je reste avec la patronne
mais en discutant très peu, car nous n’avions rien à dire et qu’il y avait le
bruit des travaux.
Pour l’anecdote, pour cette formation, nous étions, hier,
dans une salle sans climatisation. C’était l’enfer. Le formateur nous a donc
laissé deux heures pour manger. Aujourd’hui, nous avions une salle « normale »
mais qu’un heure, pour rattraper le retard. Je choisis donc d’aller dans le
même bistro (les travaux devaient être finis) et de prendre la même chose.
Même chose, d’ailleurs. Le patron qui appelle sa femme pour
tenir le comptoir pendant qu’il allait acheter du pain. Il y avait plus de
clients (4 ou 5 ?) qui parlaient un peu fort. La vraie ambiance de
comptoir.
La patronne m’apporte le sandwich. Elle avait mis des
cornichons. J’ai horreur des cornichons et, en plus, ça masque le goût du pâté.
Le cornichon dans un sandwich est une hérésie, tout comme la moutarde avec le
pot-au-feu. Je les enlève.
Le patron (José Da Silva, pour vous dire qu’il est
Portugais), va manger. La patronne reste au comptoir et nous échangeons trois
mots. Pas plus. Je mange. Bois mon demi. Un deuxième. Et un café. Je paye. Elle
constate alors que j’avais mis les cornichons dans l’assiette et présente ses
excuses pour s’être trompée. Je pardonne : « Pas grave, madame ».
Elle me remercie chaleureusement pour ma mansuétude alors que 90% des bistros
parisiens m’auraient engueulé pour pouvoir me facturer les cornichons.
Ma formation est finie. Je regrette. La prochaine fois où j’irai
dans le quartier, les patrons seront en retraite, je suppose. L’affaire aura
été vendue. Ou pas. Sera à l’abandon. Comme le coiffeur, juste à côté, que je
fréquentais à l’occasion.