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07 juin 2015

Mort de cuite

C'est Laurent, le cuisinier du Petit Relais. Selon la rumeur, il est rentré ivre, hier. Il s'est cassé la gueule. "Ils" l'ont aidé à se coucher. Ensuite, ils l'ont entendu râler. Puis plus rien. Ils ont pensé qu'ils s'était endormi. Ce matin, ils avaient besoin de lui, au restaurant de l'hôtel. Ou alors c'était pour remplacer temporairement le patron au comptoir. Ils m'ont appelé. Pas de réponse. Ils sont allés le chercher. Il était mort. Pompiers et tout çà. On saura de quoi il est mort à l'autopsie. 

Disons qu'il est mort de cuite à 49 ans, mon âge. Celui de Poireau aussi. Lui c'est aujourd'hui qu'il fête son anniversaire. Tout comme Franssoit mais lui il est plus vieux. C'est l'anniversaire de Florian aussi. Beaucoup plus jeune. C'est par les réseaux sociaux que je l'ai retrouvé. C'est le fils de ma cousine mais je ne l'ai pas revu depuis l'enterrement de ma grand-même, son arrière grand-mère. Il doit bien avoir 30 ans mais chaque année je suis surpris en découvrant que son anniversaire tombe le même jour que celui de mon frère. Pas Poireau, l'autre. 

Mort de cuite à 49 ans. José disait que c'était une belle mort. Philippe n'était pas content qu'il dise ca. Il n'y a pas de belle mort. Au fait !, n'annonçais récemment la mort de Franck, le beauf à Antoine. C'est Jum qui m'avait dit. C'est faux. J'ignore comment une telle rumeur a pu se répandre. Pour Laurent, ce n'est probablement pas une rumeur. 

Ca me rappelle la fois où c'est Patricj qui était mort. C'est un type relativement âge, très mince, avec des longs cheveux blancs. C'est à ca qu'on le connaissait. Sinon ils ne disait rien. Il arrivait dans un bistro buvait des bières en silence et repartait. Sa mort m'avait peiné. Quand il a recommencé à fréquenter les bistros, après l'annonce de sa mort, j'ai été surpris. Un rien me surprend. 

Laurent était du genre bavard mais bavard prétentieux, comme si l'hôtel était à lui alors qu'il n'était que cuisinier dans un restaurant qui fait "hôtel au mois", où il logeait. Le type même du gars qui a raté sa vie, cela dit sans la moindre méchanceté. C'est probablement la vie qu'il voulait. Et la mort attendue. 

Il paraît qu'il avait un fils mais ne l'a pas vu depuis plus de dix ans. Il était "en rupture" avec sa famille. 

Tout l'enjeu, maintenant, est de la retrouver pour qu'il ne finisse pas dans la fosse commune.  Le bistro ne parle que de ça (j'ai fui ! Patrice et Michel peuvent le confirmer). Je me fous qu'il finisse dans la fosse commune. Lui aussi probablement. Du moment que ses copains pensent à lui. Je n'étais pas un copain. 

J'en parle parce que sa mort, seul, sans famille, à mon âge, me touche. 

Mais si je fais ce billet, c'est à cause de l'ambiance dans les bistros. Elle est indescriptible et je ne vais rien tenter. Vous n'avez qu'à imaginer. Toujours est-il que c'est fou le nombre de type qui ont raté leur vie, vivent à l'hôtel,... et disent maintenant "Laurent, c'était mon copain". 

Alors j'ai changé de bistro. J'ai annoncé la nouvelle à Karim, le patron de l'Aéro. Il est de 1966, aussi, et célibataire. Il a eu la même réaction que moi. Il est touché mais il s'en fout. Lui, il a perdu un client. Moi, j'ai perdu une connaissance. Un petit blond qui fréquentait les mêmes bistros et, à l'occasion, me servait au Perit Relais. 

J'irai voir le patron ce soir. Je ne sais pas pourquoi. Certainement pas pour des condoléances. Peut-être pour témoigner de mon amitié. 

Ou pour prendre la cuite qu'on aurait pu prendre avec Laurent. Pas l'ultime, j'espère. 

Mort de cuite...

12 commentaires:

  1. C'est la cuite finale
    Bourrons nous et demain
    La beuverie nationale
    Fera l'ivrogne humain

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  2. J'ai déjà deux copains et une copine, morts de la même chose, ce n'est pas une mort facile, si tant est qu'il en ait une de facile...

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    1. Jamais je pense. Ca me rappelle une vieille qu'on a enterrée il y a une dizaine d'années. Morte d'un cancer à cause des cuites. Pas une mort facile mais une belle mort. On était 5 à l'enterrement. Régîne, Loïc, Mouloud moi et un autre type, j'ai oublié qui. C'était une mort facile mais un enterrement difficile. Très peu de monde. Et si j'étais là, c'est parce que j'étais en vacances.

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  3. Se réveiller tous les matins et se dire: putain j'ai frôlé la mort...

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