Recyclons Bartolone |
« Voilà plus d’un mois que nous confinons comme des
bêtes. » est-il écrit dans Le Monde (via Romain) dans ce qui
pourrait être un billet de blog dont je vais m’inspirer outrageusement. Lundi,
ça fera cinq semaines que je n’aurai pas bu une bière, que je ne suis pas
rentré dans un bistro. Je ne sais pas ce qu’il me manque le plus. Je ne sais
même pas si cela me manque.
Je ne sais pas ce qui me fait le plus défaut. Pas le petit
déjeuner au comptoir, je l’ai arrêté il y a quatre ou cinq ans après vingt ans
de pratique parce que le serveur du matin me faisait chier. En fait, je crois
que je ne l’ai aimé que quand le patron était là pour papoter avec les clients,
voire faire la liaison entre eux, pendant que le serveur faisait le boulot. J’adorais
prendre l’avion vers sept heures parce que je pouvais passer à la Comète à l’ouverture
à cinq heures trente. C’est fini depuis longtemps.
Les jeunes serveuses ou serveurs me manquent un peu. Vous
savez, ces gens de 20 ou 25 ans, qui n’ont pas encore choisi leur voix
professionnelle, qui bossent là pour payer leurs études ou tout simplement
parce qu’il faut bien faire quelque chose, qu’ils sont de bonne volonté et que
c’est un métier qui ne prendre s’apprendre que sur le tas. Ils sont rigolos
avec leurs maladresses les demis qu’ils n’arrivent pas à tirer, les kirs dont
ils ont oublié la recette. Ils apportent de la fraicheur, de la jovialité et n’osent
discuter avec les clients que lorsqu’ils n’ont pas autre chose à faire et que
le patron à le dos tourné. S’ils ne me manquent pas tant que ça, c’est qu’on n’en
croise pas tellement. Je crois que je n’en ai connu que trois à la Comète, dont
Jim, évidemment, et une autre qui, à partir du moment où elle a décidé d’en
faire ce métier, est devenu chiante. Un peu plus au 1880.
Les vieux serveurs un peu chiants qui n’arrête pas de
ronchonner me manquent un peu. Vous savez, les types qui ont quarante ans de
métier et s’imaginent meilleurs que les autres, plus organisés,… Ils n’arrêtent
pas d’engueuler leurs collègues, le comptoir est leur chasse gardée, on les
connaît depuis des années et on en rigole ! On se fout de leur gueule et
ils nous regardent, pleins d’indulgence. Ils savent qu’au fond, on n’est pas
chiants, on attend notre tour quand il y a beaucoup de monde, on paye toujours.
Au fond, ils nous aiment. Ils tolèrent nos écarts quand l’apéro a duré et ils
se foutent de notre gueule, le lendemain. Et on les aime aussi. Ils sont une
espèce de point de repère presque une image paternelle mais il faut qu’ils
soient chiants et ronchonnent. S’ils ne le sont pas, déjà, c’est qu’ils
changent souvent de boulot, qu’ils ne sont pas attachés au lieu. Le vieux qui
ronchonne aime son bistro, la routine,… et s’il marmonne dans barbe, c’est que
tout ne va pas comme il faut.
Les serveurs de la Comète me manquent, la plupart. Ils sont
tous sur le même moule ou presque, ils ont mon âge, à cinq ans près, ils sont
rigolos. Roger est bien plus vieux mais aussi plus drôle. Les serveurs des
autres bistros me manquent moins (le 1880 étant à part, c’est un peu la
famille). La plupart des patrons me manquent aussi. Certaines patronnes, pas du
tout. Elles font le métier pour suivre l’époux, parce qu’il faut quelqu’un de
confiance à la caisse mais, au fond, on ne sait pas si elles aiment ça.
Les clientes du comptoir ne me manquent pas, à part Odette
et Corinne et les copines de Loudéac. J’en parlais avant-hier. Elles souffrent
de solitude et viennent au comptoir pour voir du monde mais elles détestent
cela. Ou se déchirent la tronche. Les sandwichs au comptoir me manquent un peu,
j’en ai également parlé pendant la semaine.
Les clients copains des patrons ma manquent. Ils assurent
une certaine stabilité du comptoir et on sait que, s’ils sont là, on retrouvera
l’ambiance qui fait qu’on vient.
Les tournées avec les potes et les petites conversations
rituelles qui les accompagnent ! « Allez, c’est ma tournée ! »
« Mais non, tu viens de la mettre alors que l’autre, là, ne l’a pas fait. »
« Ah oui, tiens ! C’est mon tour. Hé patron, tu nous remets ça. »
« Oh, tu vois pas que je suis occupé. » « Ah, désolé, j’ai pas
dit tout de suite. » « C’est bon, je suis à vous, Nicolas, tu veux
pas de glaçon cette fois ? » « Non merci ». « T’es chiant,
on sait jamais quand tu veux. » « Merci patron ! ». « Santé
les gars. » « Mais pas des pieds ! ». « Ah oui, tiens !
Personne ne l’avait faite, aujourd’hui. »
Les copains ne me manquent pas en tant que tels. Il arrive
que je ne les voit pas pendant des mois mais on reste en contact dans les
réseaux sociaux, par téléphone,… Chacun vit sa vie, après tout. Ce qui me
manque, c’est des copains pour raconter des conneries et rigoler devant un
verre.
Les connaissances me manquent. Vous savez, ces personnes que
l’on voit une dizaine de fois par mois ou moins, on se dit bonjour, on s’échange
parfois des banalités. On boit peut-être un coup ensemble genre : « tiens
Roger, pour mon anniversaire, tu peux mettre un coup au monsieur ? »
Ils sont parfaits pour planter une routine ou un décor. Quand le comptoir est
plein, ils se mettent avec tes propres copains, ça les rassure, on dirait.
L’agitation du service me manque. Le loufiat qui te bouscule
parce que tu l’empêches d’aller servir des clients en salle ou qui t’engueule :
« mais bon dieu, tu vois pas que j’ai pas que ça à foutre ? ».
Le serveur au comptoir qui s’agite pour essayer de faire face aux commandes, la
vaisselle qui s’entasse qui déborde sur le comptoir, le fut de bière qui tombe
vide au plus fort du service ou la réserve de Ricard qui est épuisé : il
faut que le loufiat dans le jus aille à la cave.
A contrario, le calme me manque, ce moment où vous êtes seul
au comptoir avec les serveurs qui font le rangement, la mise en place pour le
demain. Ils finissent par faire semblant de s’occuper, passant un coup d’éponge
sur l’évier alors qu’ils viennent de le faire. C’est un peut leur métier de
faire semblant. Ca met une ambiance au comptoir et ça empêche le patron de leur
confier une corvée, comme sortir les poubelles alors qu’il faut passer par le
monte-charge.
Si les petits déjeuner ne me manquent pas trop, ce n’est pas
le cas de l’ambiance du matin quand la machine se met en marche, quand le chef
commence la cuisine, quand les livreurs passent, quand les cagettes de légumes
s’entassent, quand il faut rentrer en urgence les surgelés, quand le commis
remonte son bac avec les frites qu’il vient de couper, quand le boulanger passe
livrer les croissants et qu’il demande combien il faudra de pain pour le midi.
Les petits plaisirs du chef ou du patron me manquent, quand
il nous sert une assiette de saucisson avec l’apéro ou un bol de frite, des
merguez,… Les inconnus qui payent une
tournée parce qu’ils sont heureux, me manquent. Les clients qui bossent à côté
et qui viennent prendre un café vite-fait me manquent.
C’était une vie.
P... moins assidu que je suis pourtant, t’en arrives à déclencher ce que tout cela me manque aussi !
RépondreSupprimerDésolé...
SupprimerJe ne fréquente plus les bistros à part celui de la Comète parce que ceux de grande banlieue n'ont pas d'intérêts, et c'est vrai que cette ambiance manque.
RépondreSupprimerpareil j'allais dans la brasserie du coin avec 2 potes, l'un est mort (David Clavereau) et l'autre a pris le fuite en banlieue. Je n'y vais plus. Avant quand je sortais avec mon ex et sa bande, on allait au "café voltaire" au bout de ma rue. On y va plus.
Supprimerc'est très bien écrit, tu pourrai écrire un livre sur ces bistros. J'ai lu que certains parlaient de réouverture possible des terrasses -ouvertes- de café : forcément en plein air, le virus s'envole. Le risque est en circuit fermé avec les climatisations et courant d'air dans les salles qui transportent les virus. C'est pas con comme idée, mais cela se fera-t-il ?
RépondreSupprimerCa va être difficile, il faut garder de la distance entre les gens, donc l'activité sera moindre et pas nécessairement rentable.
Supprimeroui c'est un exercice sépcial : mais tu pourrai déjà reprendre tous tes billets.
SupprimerLa flemme.
SupprimerTrès joli billet. Le coup du livre oui, tu as pleins d’anecdotes et de trucs sympas et... ouais ça serait sympa.
RépondreSupprimerAprès cette distanciation sociale, j’arrive pas à adhérer
Non. Pas de livre.
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