Il faut savoir que, le soir, le patron de la Comète est
souvent absent (il reste « au bureau » et revient si besoin) et que
les serveurs sont assez jeunes. Janice a tout au plus 25 ans. Bruno, le barman,
en a 22. Ils sont tous les deux très sympathiques mais le loufiat est un freluquet
alors que la serveuse est une femme que l’on pourrait qualifier de bien charpentée
mais très belle. Un dessin de Dubout, pour ceux qui connaissent. Un jour, j’avais
choqué des potes Facebook en disant que je me demandais s’il arriver à entrer
totalement à l’intérieur. Depuis lundi, il y en a un troisième, encore plus
jeune et très mince, avec un visage assez effilé et juvénile, à un point que,
le premier jour, je me suis demandé si ce n’était pas « une stagiaire de
troisième ». Il n’est pas antipathique mais, comme il ne parle pas, je n’ai
rien à en penser…
Janice et Bruno m’aiment bien. Je suis un bon client (pas le
meilleur vu que je passe la moitié de mon temps en Bretagne) mais je bois mes
bières, suis poli, déconne un peu sans accaparer la discussion (comprendre :
sans être chiant). Ils savent que je m’intéresse au personnel (par exemple,
quand quelqu’un est absent, je prends de ses nouvelles) et que je les « soutiens »
(toujours un encouragement quand il y a beaucoup de boulot ou, au contraire,
quand ils s’emmerdent).
Quand il y a un client que je n’aime pas, ils ne l’aiment
pas non plus. Rien d’anormal à cela : si un type me casse les couilles, il
n’y a pas de raison qu’il n’énerve pas les autres. La réciproque est vraie. S’ils
n’aiment pas un client, je finis par le ressentir (et l’entendre vu que ce
sont toujours des types qui parlent trop ou des gonzesses bourrées) et ça m’indispose
de savoir qu’un élément du décor est perturbé.
Car nous sommes tous des éléments du décor ou des meubles.
Il n’y a que quelques mois qu’ils travaillent là et comme je suis souvent
absent, nous n’avons pas de relation qui pourrait s’apparenter à de l’amitié.
Seulement, peut-être, de l’affection mais nous savons tous que, un jour
prochain, il nous faudra tourner la page. C’est peut-être pour ça qu’ils m’aiment
bien : je ne « tape pas l’incruste » comme certains abrutis qui
se croient au centre du monde et veulent toujours copiner avec le patron ou les
employés.
A part avec Jim et Josiane, je n’ai jamais été assez proche
avec les serveurs (contrairement aux patrons) par exemple pour les voir au
dehors des heures d’ouverture. Le gros Jean-Jacques qui a officié quelques
temps à la Comète faisait exception mais il avait un don pour entrainer tout le
monde au resto le dimanche soir à la fermeture, vers 20 heures…
Jim est un cas à part. Il avait 23 ans quand il est arrivé à
la Comète (et moi sans doute près de 40). Comme il était un peu seul dans le
quartier, il avait fini par traîner avec la bande, on passait des réveillons
ensemble, on se rendait des services… On a fini par passer des jours de
vacances ensemble. Près de 10 ans après son départ de la région parisienne, on
continue à se téléphoner et à échanger avec Facebook. Pour Josiane, c’était un
peu différent. Pendant onze ans, elle était à la fermeture de la Comète un jour
sur deux et le patron tolérait que quelques habitués restent là jusqu’à la fin
du ménage. Nous étions devenus des vieux des copains, des complices…
Mais, comme d’habitude, je m’égare. Surtout que c’est la
première fois que je fais un billet « bistro » dans ce blog depuis
longtemps, malgré son nom.
Pour en revenir à Janice et Bruno, la différence d’âge fait
sans doute beaucoup. Prenez le petit nouveau dont je parlais, j’ai probablement
trois fois le sien… mais aussi trois fois son poids. Je ne sais pas si je fais
plus ou moins jeune que mon âge, physiquement ou mentalement. Je ne suis pas
comme ces imbéciles qui s’imaginent être « restés jeunes dans leur tête »,
par exemple. Je conchie toutes les musiques sorties avant 1995. Je ne suis pas
fêtard. Seulement client de bistro.
Et il y a peu de taiseux comme moi qui passent deux ou trois
heures par jour au même bar en s’enfilant des pintes en ayant que rarement des
signes d’ébriétés. A La Comète, nous ne sommes plus que trois fidèles du
comptoir, le soir, avec « ma » Odette et « La Galice ».
Au fond, il y a assez peu de clients chiants, au bistro. Ceux
qui s’y présentent finissent par s’isoler ou par être virés par les patrons
parce qu’ils font fuir du monde. Deux anciens patrons de la Comète me « suivaient »
assez : quand ils voyaient qu’un type me les broutait, ils finissaient par
les foutre dehors. C’était rigolo. Le précédent, André, virait assez facilement.
Il en faisait même des erreurs. Il avait jeté mon copain Luc (en mon absence)
en croyant qu’il était bourré alors qu’il ne l’était pas. Et s’il fallait
éviter les clients bourrés, les rentrées d’argent se tasseraient rapidement. Ne
conserver que les fêtards, dans un coin comme La Comète, serait une erreur :
le turn over est terrible.
Il y a trois ou quatre semaines, je me suis fâché avec mon
(ex) copain Michel, dit « ping pong ». Il faut dire qu’il est bête
comme ses pieds. J’en avais marre de discuter avec lui le soir ou, du moins, de
subir ses conversations, généralement centrées autour de sa propre personne. La
dernière fois, elles ne l’étaient pas, pourtant. Il parlait de moi. « Tu
as passé tes vacances en Bretagne ? ». « Oui, dans la maison que
je viens d’hériter de ma mère. » « Ah oui, au fond tu dois être
content d’aller au bord de la mer. » « Bof ! Loudéac n’est pas
au bord de la mer. » « Oui, mais la mer n’est jamais très loin en
Bretagne, tu peux y aller souvent. » « Ben, tu sais, Loudéac est tout
de même à 40 km au minimum, peut-être 50 pour avoir une plage ou un coin
touristique. » « Ah ben tu peux y aller car c’est bien de voir
la mer. » « Oui, mais je n’y vais pas pour ça, j’ai la maison, les
copains… » « Mais tu as quand même le temps d’y aller car tu aimes
bien la mer ». « Mais putain de bordel, je n’y vais pas pour ça, je
te dis, tu vas arrêter quand de me casser les couilles, connard ? »
Je ne suis pas toujours très sociable, non plus. Mais quand
on me force à parler ou à avoir un certain avis, je n’aime pas. Je ne l’ai pas
revu depuis. Je ne pense pas qu’il ait été viré mais il l’aurait sans doute
mérité, non pas pour m’avoir gonflé quelques fois mais parce qu’il ne boit pas
beaucoup, arrive tard et fait chier les gens.
Quelques jours plus tard, en sortant du boulot, je m’installe
en terrasse de l’Amandine (elle est petite, il y a donc souvent des gens seuls,
on y est comme au comptoir). Il y avait à une table un type que je connais un
peu. Disons qu’on se dit bonjour et qu’on échange parfois trois mots. A la
table suivante, il y avait un gugusse que je ne connaissais pas. Je m’installe
à la suivante.
Les deux s’étaient mis à parler ensemble assez fort, en m’interpelant
de temps en temps. Je leur ai fait comprendre que je n’étais pas là pour faire
la discussion mais celui que je ne connaissais pas n’avait pas l’air de comprendre.
Genre : c’est inimaginable qu’un type vient tout seul à une table d’une
terrasse d’un café pour être tout seul à une table d’une terrasse d’un café.
Ils m’ont oublié mais, à un moment, « l’ancien » a
commencé à faire des imitations (mauvaises) d’acteurs en parlant très fort !
Ca a duré quelques minutes et c’est devenu insupportable. Je me suis fâché. « Mais
tu vas donc fermer un peu ta gueule, j’aimerais avoir la paix… ». Il s’est
vexé. Il l’a dit : « je comprends, Nicolas, que je te dérangeais mais
tu m’as vexé. » Je lui ai répondu poliment, par pitié, en lui disant que « je
comprenais mais j’ai craqué ». Je n’allais pas lui dire que c’était
franchement un connard d’emmerder les gens puis de les engueuler quand ils te
font des remarques parce qu’ils étaient franchement dérangés…
Je suis allé fini ma bière au comptoir (je vais en terrasse
surtout parce qu’il n’y a pas de tabouret).
Le patron m’a dit plusieurs jours après qu’il avait fini par
les virer en leur priant de ne plus jamais remettre les pieds dans la boutique.
Il faut dire qu’ils s’étaient mis à changer puis s’étaient engueulés pour des
histoires de tournée (je pourrais en faire un billet, rien que sur leur
conversation au sujet des tournées, vu que j’avais assisté à de premiers
échanges).
Hier soir, j’arrive à la Comète. Il y avait une grosse
dondon blondasse et racisée sur un tabouret et une espèce de foldingue qui dansait
à côté d’elle. Je me suis assis pas loin et j’ai fini par reconnaître cette
dernière : « Manue » une espèce de pochetronne du quartier qui m’était
sortie de la tête. Je ne peux pas la blairer.
J’ai fait un signe discret à Bruno pour lui dire qu’il
devait arrêter de les servir. C’est la première fois que je le faisais. Je n’ai
pas à dépasser mes fonctions de client, au fond, mais c’est vraiment une source
à emmerdes qui, en plus, n’a pas de pognon. Bruno a très bien compris ce que je
voulais dire. Il m’a chuchoté qu’il allait appeler le patron parce qu’il ne
savait pas quoi faire. Je lui ai dit qu’il avait raison et qu’il n’hésite pas à
me demander de témoigner si besoin.
Manue vient vers moi et me demande de leur offrir un verre.
Passablement remonté, j’ai crié « Non ». L’autre m’a évidemment
traité de raciste et de machiste. La routine. Finalement elles sont parties
assez rapidement.
Janice et Bruno sont venus vers moi car ils avaient compris
que je n’avais pas été aimable volontairement. Je leur ai dit : c’est une pocharde
que je connais depuis des lustres. A l’Aéro, Manue suçait des clients pour se
faire offrir à boire. Il y avait même la queue si je puis me permettre. J’ai
quand même précisé que « pas moi, hein ! ».
Mes deux jeunes étaient choqués ! J’imaginais tout de
même Janice un peu plus avisée. Quant à Bruno, il vient du Brésil, pays que l’on
imagine rempli de femmes assez faciles (j’euphémise).
Heureusement que le petit nouveau n’était pas à côté, il
serait tombé dans les pommes.