Savez-vous que je suis trop gros pour ouvrir la tablette,
dans le train, même en première classe ? Savez-vous que, même avec des
urinoirs, je n’ai pas la vue assez dégagée pour viser correctement ? Et
dans le même style que la taille de mon ventre empêche de la tenir quand je
suis assis sur le trône ?
Revenons au plus délicat.
Savez vous qu’une selle de vélo me fait environ 800 kilomètres
avant de casser ? Savez-vous que j’ai cassé trois chaises de bureau les
deux premières années du confinement ? Savez-vous que n’ose pas marcher
sur un petit tabouret en plastique de peur qu’il cède ou me mettre debout sur
un solide fauteuil, pour la même raison ? Savez-vous que même si je le
pouvais, mon centre de gravité est placé de telle manière que j’aurais vraiment
peur de me casser la gueule ? Savez-vous qu’il m’arrive de rester coincé
dans les bistros à la fermeture (il y a pire punition…) parce que je ne peux
pas me faufiler entre les éléments du mobilier de la terrasse entassé, pour la
nuit, dans la salle du bar ?
Savez-vous que je ne peux pas passer par le portail du
garage de chez moi si un seul vantail est ouvert ? Savez-vous que je ne
peux pas prendre un bain si je fais couler l’eau avant d’être dans la baignoire
à cause du « déplacement de liquide » quand je m’y engouffre ?
Savez-vous que j’ai du mal à entrer dans les douches de certains hôtels, quand elles
ont une protection en « plastique » rigide, avec une petite entrée
coulissante ? Savez-vous qu’il m’arrive de me réveiller d’affreux cauchemars
où je finis coincé dans des endroits insensés, souvent des cages d’escalier
trop étroites ?
Savez-vous que, à vingt-et-an (lors du début de mon service
national), je passais déjà pour grassouillet alors que je ne faisais que 60% de
mon poids actuel ?
Savez-vous que, dans un des trois salons de ma maison (je
suis gros ET opulent), je ne peux pas me lever du canapé car il est trop mou et
je suis trop lourd et qu’il n’y a aucun endroit proche où je puisse m’accrocher ?
Savez-vous que je ne peux pas m’asseoir ou m’allonger par terre sans un solide
appui ? A contrario, je n’ai pas trop de mal à me lever…
Savez-vous que quand je laisse tomber une pièce de monnaie
ou un sous-verre quand je suis au comptoir, j’ai beaucoup de mal à le ramasser
au point où je mine des difficultés musculaires pour qu’un voisin le fasse à ma
place ? J’ai moins de difficultés quand je suis seul, remarque…
Savez-vous que, ne pouvant pas utiliser un tabouret, je n’ai
pas accès à tous les placards dans la maison ? Savez-vous que, dans mon
appartement, il a fallu que je demande au concierge de me changer les ampoules
des plafonniers ? Savez-vous que j’ai une peur bleue quand je dois descendre
un escalier sans la rampe à portée de main (je n’y touche pas mais j’ai
toujours peur de perdre l’équilibre) ? Savez-vous que je ne peux pas acheter
un tee-shirt, une chemise, un manteau ou une veste à Loudéac, car il n’y a pas
à ma taille ?
Heureusement que je conserve un petit cul, je peux acheter des
pantalons et des caleçons. Je ne suis gros que du ventre…
Je ne dis pas ça pour me plaindre ! Au fond, si je
marchais une demi-heure par jour, diminuait de 30% ma consommation de bière et
de viande, je retournerai assez rapidement à un poids plus normal. Mais je n’aime
pas marcher. Et j’aime la bière et la viande. Pour me plaindre, je parlerai de
mes problèmes de poumons. Cumuler les deux handicaps n’est pas joyeux. Voyons
voir. Si je ne peux pas marcher beaucoup, c’est aussi par manque de souffle,
suite à maladie de 2021, amplifié par le fait que je sois trop lourd et que ce
manque d’entraînement m’empêche de faire travailler les poumons. On se mord la
queue (je n’ai aucun problème de ce côté, ni-même de celui du foie).
Je me répète : je ne suis pas là pour me plaindre. J’ai
même plutôt tendance à en rigoler. Voire à en profiter. Par exemple, je tiens
très bien l’alcool aussi parce que j’ai plus de volume pour diluer le machin.
Et au fond, comme je peux boire six ou sept pintes sans
pisser, je salis beaucoup moins les toilettes que la plupart des gens, d’autant
que je suis obligé de faire plus attention…
Je crois avoir dit que je n’étais pas là pour me plaindre.
Seulement pour parler des gros et de la grossophobie.
Toi, là, qui me lis, tu regardes souvent les gros avec un
regard mi dégouté mi compatissant, que le gros soit tendance sumo ou jeune des
banlieues avec un gros cul habillé en survêtement, ou soit tendance « moi »,
avec uniquement un gros ventre lié à des abus répété et rendu possible par car
j’ai choisi de mauvais gènes chez certains de mes ancêtres…
Tu te dis que ce n’est pas normal. Que le pauvre gros n’a
pas de chance car il est probablement malade. Ou alors qu’il devrait faire
attention, des régimes et du sport.
Tu es grossophobe. Ce n’est pas grave. Je suis moi-même
grossophobe. Tiens ! Dès que je vois un type vraiment gros, j’espèce que
les gens autour de nous se diront qu’il est plus gros que moi. Ou alors, je me
dis : « il fait vraiment fort, celui-là » ! Quant aux
femmes vraiment grosses, je dois bien reconnaître qu’elles ne me font vraiment
pas envie. Ou alors sous forme de rillettes.
Nous sommes tous grossophobes, telle est ma théorie. C’est
même pire que ça. Deviens de noircir un A4 pour décrire mes problèmes de gros
(tu y pensais à la difficulté pour changer une ampoule ?) mais je ne pense
jamais à ses propres problèmes quand je vois un autre gros. A la limite, je
peux critiquer un autre gros en oubliant que je le suis moi-même.
La loi 90-615 dit, dans l’article premier : « Toute discrimination fondée sur l'appartenance ou la
non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion est
interdite. » Et les gros, ils puent de la gueule ? Au fond, ça
ne te dérange pas plus que ça qu’un patron de bistro refuse d’embaucher un gros…
Il aurait du mal à se faufiler entre les tables ou derrière le comptoir. C’est
pourtant de la discrimination…
L’article R625-7 du code pénal (on rigole moins là, hein !)
parle de « l’incitation à la haine ». Il y est dit : « La provocation non publique à la discrimination, à la
haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à
raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance,
vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une prétendue race ou une religion
déterminée est punie de l'amende prévue pour les contraventions de la 5e
classe.
Est punie de la même peine la
provocation non publique à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne
ou d'un groupe de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle
ou identité de genre, ou de leur handicap, ainsi que la provocation non
publique, à l'égard de ces mêmes personnes, aux discriminations prévues par les
articles 225-2 et 432-7. »
On pourrait considérer que « les gros » soient
classés parmi les handicapés mais la loi prévoit aussi ce qu’est un handicapé :
il faut être reconnu comme tel, donc en faire la demande, faire les démarches…
pour obtenir une carte…
Donc la grossophobie n’est pas reconnue par la loi. Vous me
direz qu’on s’en fout et vous auriez particulièrement raison. Mais appliquez votre réflexion qui vous fait
dire qu’on s’en fout à tous les autres motifs de discrimination ou de « provocation
à la haine »…
On en reparlera après.
Alors vous allez-vous dire que « j’ai raison », qu’il
faut reconnaitre la grossophobie mais on arrivera toujours à bloquer sur la
définition de la « grosseur ». Il faut que je fasse un « coming out »
gros et que je demande une carte de gros à la préfecture ? Pour un peu, vous allez vouloir qu'un juif porte l'étoile jaune pour qu'on soit sûr qu'il soit juif avant d'éviter de l'insulter.
On marche sur la tête. Où il manque la kippa, d'ailleurs...
Au bureau, ils ont mis une mouche au fond des pissotières pour inviter les gens à bien viser. Pour voir la mouche, il faut que je me recule de cinquante centimètres.
On ne peut pas penser à tout et les gros devraient avoir le droit de pisser contre les murs et dans les baignoires.
Savez-vous qu'une ceinture est peu efficace avec moi (j'ai un gros ventre, en dessous, je suis assez mince) ? Je porte donc des bretelles. Savez-vous que, quand je suis assis, elles me font remonter le bouton du pantalon dans le ventre, ce qui me cause parfois de grosses douleurs ? Je ne peux donc pas garder les bretelles si je dois rester assis longtemps... Dans la vraie vie, je ne le mets presque que pour aller à la cantine (mes mains sont occupées avec mon plateau et ne peuvent soutenir mon pantalon) et, bien sûr, quand je dois rester debout longtemps.
Vous imaginez quand je prends le train. Il faut que je mette mes bretelles quand j'arrive à Montparnasse et que je les enlève après avoir trouvé ma place dans le train...
C'est fou, non ?