13 juillet 2024

Sur la route de la grossophobie

 


Savez-vous que je suis trop gros pour ouvrir la tablette, dans le train, même en première classe ? Savez-vous que, même avec des urinoirs, je n’ai pas la vue assez dégagée pour viser correctement ? Et dans le même style que la taille de mon ventre empêche de la tenir quand je suis assis sur le trône ?

Revenons au plus délicat.

Savez vous qu’une selle de vélo me fait environ 800 kilomètres avant de casser ? Savez-vous que j’ai cassé trois chaises de bureau les deux premières années du confinement ? Savez-vous que n’ose pas marcher sur un petit tabouret en plastique de peur qu’il cède ou me mettre debout sur un solide fauteuil, pour la même raison ? Savez-vous que même si je le pouvais, mon centre de gravité est placé de telle manière que j’aurais vraiment peur de me casser la gueule ? Savez-vous qu’il m’arrive de rester coincé dans les bistros à la fermeture (il y a pire punition…) parce que je ne peux pas me faufiler entre les éléments du mobilier de la terrasse entassé, pour la nuit, dans la salle du bar ?

Savez-vous que je ne peux pas passer par le portail du garage de chez moi si un seul vantail est ouvert ? Savez-vous que je ne peux pas prendre un bain si je fais couler l’eau avant d’être dans la baignoire à cause du « déplacement de liquide » quand je m’y engouffre ? Savez-vous que j’ai du mal à entrer dans les douches de certains hôtels, quand elles ont une protection en « plastique » rigide, avec une petite entrée coulissante ? Savez-vous qu’il m’arrive de me réveiller d’affreux cauchemars où je finis coincé dans des endroits insensés, souvent des cages d’escalier trop étroites ?

Savez-vous que, à vingt-et-an (lors du début de mon service national), je passais déjà pour grassouillet alors que je ne faisais que 60% de mon poids actuel ?

Savez-vous que, dans un des trois salons de ma maison (je suis gros ET opulent), je ne peux pas me lever du canapé car il est trop mou et je suis trop lourd et qu’il n’y a aucun endroit proche où je puisse m’accrocher ? Savez-vous que je ne peux pas m’asseoir ou m’allonger par terre sans un solide appui ? A contrario, je n’ai pas trop de mal à me lever…

Savez-vous que quand je laisse tomber une pièce de monnaie ou un sous-verre quand je suis au comptoir, j’ai beaucoup de mal à le ramasser au point où je mine des difficultés musculaires pour qu’un voisin le fasse à ma place ? J’ai moins de difficultés quand je suis seul, remarque…

Savez-vous que, ne pouvant pas utiliser un tabouret, je n’ai pas accès à tous les placards dans la maison ? Savez-vous que, dans mon appartement, il a fallu que je demande au concierge de me changer les ampoules des plafonniers ? Savez-vous que j’ai une peur bleue quand je dois descendre un escalier sans la rampe à portée de main (je n’y touche pas mais j’ai toujours peur de perdre l’équilibre) ? Savez-vous que je ne peux pas acheter un tee-shirt, une chemise, un manteau ou une veste à Loudéac, car il n’y a pas à ma taille ?

Heureusement que je conserve un petit cul, je peux acheter des pantalons et des caleçons. Je ne suis gros que du ventre…

 

Je ne dis pas ça pour me plaindre ! Au fond, si je marchais une demi-heure par jour, diminuait de 30% ma consommation de bière et de viande, je retournerai assez rapidement à un poids plus normal. Mais je n’aime pas marcher. Et j’aime la bière et la viande. Pour me plaindre, je parlerai de mes problèmes de poumons. Cumuler les deux handicaps n’est pas joyeux. Voyons voir. Si je ne peux pas marcher beaucoup, c’est aussi par manque de souffle, suite à maladie de 2021, amplifié par le fait que je sois trop lourd et que ce manque d’entraînement m’empêche de faire travailler les poumons. On se mord la queue (je n’ai aucun problème de ce côté, ni-même de celui du foie).

Je me répète : je ne suis pas là pour me plaindre. J’ai même plutôt tendance à en rigoler. Voire à en profiter. Par exemple, je tiens très bien l’alcool aussi parce que j’ai plus de volume pour diluer le machin.

Et au fond, comme je peux boire six ou sept pintes sans pisser, je salis beaucoup moins les toilettes que la plupart des gens, d’autant que je suis obligé de faire plus attention…

 


Je crois avoir dit que je n’étais pas là pour me plaindre. Seulement pour parler des gros et de la grossophobie.

Toi, là, qui me lis, tu regardes souvent les gros avec un regard mi dégouté mi compatissant, que le gros soit tendance sumo ou jeune des banlieues avec un gros cul habillé en survêtement, ou soit tendance « moi », avec uniquement un gros ventre lié à des abus répété et rendu possible par car j’ai choisi de mauvais gènes chez certains de mes ancêtres…

Tu te dis que ce n’est pas normal. Que le pauvre gros n’a pas de chance car il est probablement malade. Ou alors qu’il devrait faire attention, des régimes et du sport.

Tu es grossophobe. Ce n’est pas grave. Je suis moi-même grossophobe. Tiens ! Dès que je vois un type vraiment gros, j’espèce que les gens autour de nous se diront qu’il est plus gros que moi. Ou alors, je me dis : « il fait vraiment fort, celui-là » ! Quant aux femmes vraiment grosses, je dois bien reconnaître qu’elles ne me font vraiment pas envie. Ou alors sous forme de rillettes.

Nous sommes tous grossophobes, telle est ma théorie. C’est même pire que ça. Deviens de noircir un A4 pour décrire mes problèmes de gros (tu y pensais à la difficulté pour changer une ampoule ?) mais je ne pense jamais à ses propres problèmes quand je vois un autre gros. A la limite, je peux critiquer un autre gros en oubliant que je le suis moi-même.

 

La loi 90-615 dit, dans l’article premier : « Toute discrimination fondée sur l'appartenance ou la non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion est interdite. » Et les gros, ils puent de la gueule ? Au fond, ça ne te dérange pas plus que ça qu’un patron de bistro refuse d’embaucher un gros… Il aurait du mal à se faufiler entre les tables ou derrière le comptoir. C’est pourtant de la discrimination…

 

L’article R625-7 du code pénal (on rigole moins là, hein !) parle de « l’incitation à la haine ». Il y est dit : « La provocation non publique à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une prétendue race ou une religion déterminée est punie de l'amende prévue pour les contraventions de la 5e classe.

 

Est punie de la même peine la provocation non publique à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou identité de genre, ou de leur handicap, ainsi que la provocation non publique, à l'égard de ces mêmes personnes, aux discriminations prévues par les articles 225-2 et 432-7. »

On pourrait considérer que « les gros » soient classés parmi les handicapés mais la loi prévoit aussi ce qu’est un handicapé : il faut être reconnu comme tel, donc en faire la demande, faire les démarches… pour obtenir une carte…

 


Donc la grossophobie n’est pas reconnue par la loi. Vous me direz qu’on s’en fout et vous auriez particulièrement raison.  Mais appliquez votre réflexion qui vous fait dire qu’on s’en fout à tous les autres motifs de discrimination ou de « provocation à la haine »…

On en reparlera après.

 

Alors vous allez-vous dire que « j’ai raison », qu’il faut reconnaitre la grossophobie mais on arrivera toujours à bloquer sur la définition de la « grosseur ». Il faut que je fasse un « coming out » gros et que je demande une carte de gros à la préfecture ? Pour un peu, vous allez vouloir qu'un juif porte l'étoile jaune pour qu'on soit sûr qu'il soit juif avant d'éviter de l'insulter. 

On marche sur la tête. Où il manque la kippa, d'ailleurs... 


Au bureau, ils ont mis une mouche au fond des pissotières pour inviter les gens à bien viser. Pour voir la mouche, il faut que je me recule de cinquante centimètres. 

On ne peut pas penser à tout et les gros devraient avoir le droit de pisser contre les murs et dans les baignoires.


Savez-vous qu'une ceinture est peu efficace avec moi (j'ai un gros ventre, en dessous, je suis assez mince) ? Je porte donc des bretelles. Savez-vous que, quand je suis assis, elles me font remonter le bouton du pantalon dans le ventre, ce qui me cause parfois de grosses douleurs ? Je ne peux donc pas garder les bretelles si je dois rester assis longtemps... Dans la vraie vie, je ne le mets presque que pour aller à la cantine (mes mains sont occupées avec mon plateau et ne peuvent soutenir mon pantalon) et, bien sûr, quand je dois rester debout longtemps.

Vous imaginez quand je prends le train. Il faut que je mette mes bretelles quand j'arrive à Montparnasse et que je les enlève après avoir trouvé ma place dans le train... 

C'est fou, non ? 

7 commentaires:

  1. Vous oubliez une chose : si les gras-du-bide obtiennent une reconnaissance officielle, il se trouvera aussitôt des sacs d'os carbonisés du cervelet pour affirmer qu'ils sont "gros dans leur tête" et exiger de leur entourage d'être considérés comme d'authentiques obèses.

    DG

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    1. Vous avez raison.

      D'abord, désolé à avoir mis tant de temps à vous répondre mais je n'avais pas accès à internet avec mon PC (il n'y a que ce soir que j'ai remis les mains dans le cambouis) et la réponse que je voulais faire "sur le coup" était trop longue pour être faite avec l'iPhone. Maintenant, je ne sais plus trop ce que je voulais dire... 24 heures après, ça donne ça :

      Je voulais "hiérarchiser" les tares à phobies.

      Il y a un premier lot, celui des racisés et des gros. On n'y peut pas grand chose.

      Il y a ensuite ce qui est lié au sexe. On ne choisit pas d'être homosexuel (ni même en "quête" de genre mais je m'en fous. On peut cacher être homosexuel (je n'ai pas dit que c'était souhaitable mais on peut faire en sorte, dans certaines conditions, de ne pas montrer qu'on l'est ce que font très bien la plupart des homos y compris les revendiqués).

      Il y a enfin d'autres trucs comme la religion. Là, c'est réellement un choix même si c'est généralement lié à l'éducation.

      Toujours est-il que les carbonisés en question feraient mieux de réfléchir avant de ce lancer dans la quête des phobies des minorités. Mais vous avez raison. Un de ces abrutis peut se déclarer "gros dans sa tête" même si un membre d'une minorité refusera de voir un blanc pas gros hétérosexuel jouer avec ça, car lui-même, par pure connerie, ne peut s'imaginer que l'on puisse se mettre à sa place en tant que personne qui souffre de ses différences...

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    2. Le problème est que, s'il y a une chose que les carbonisés ne peuvent pas faire, c'est précisément de réfléchir.

      Remarquez qu'ils ont toujours la ressource d'affirmer qu'ils se sentent "intelligent-dans-ma-tête"…

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    3. C'est bien le problème... Mais les carbonisés ne me lisent pas. Par contre, des copains qui s'allient avec eux parce qu'il n'y a plus que ça qui bouge à gauche, il y en a plein...

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  2. Je suis en Ardèche avec mon fils de 20 ans et je peux te dire que j'en chie de ces kilos en trop en randonnée et sur le vélo. Je voulais de ces vacances qu'elle soit un choc salutaire en terme de prise de conscience. Je pense que je ne repartirais plus dans les mêmes errements. Le fait de voir mon fils m'attendre pour continuer est le meilleur des remèdes.

    Après cette semaine, je vais reprendre une activité physique régulière. Ma mère est décédée à 70 ans de ses abus. Dans 10 ans, ma fille aura 20 ans. 70 ans, c'est un peu jeune pour mourir quand on a de "jeunes" enfants.

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    1. N'est-ce pas plutôt l'âge qui te fait souffrir, plus que les kilos ? Et je pense que c'est bien l'âge qui fait que ton fils t'attend (les coureurs du tour de France sont plus près de son âge que du tiens).

      Et tu n'es pas vraiment gros.

      (je n'ai pas voulu, dans mon billet, aborder ce problème, à savoir que les problèmes de poids sont toujours associés à des pb cardiaques ou autres).

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    2. L'âge, non. Le poids, oui. C'est ce que je crois.

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