C’est un grand jour ! Je suis, à nouveau, en permission.
La dernière avant la libération définitive. Surtout, mon coloc, l’imbécile qui
a partagé ma chambre pendant trois semaines et m’a pourri la vie, quitte
définitivement l’hôpital de semaine. Franchement, on a bien l’impression qu’il
a été viré. Plus personne ne pouvait réellement le sentir.
Je vais raconter deux détails de notre vie (mais je pourrais
y consacrer des pages et des pages de blog). Les deux ont un rapport avec ce
qui a pu changer chez lui depuis qu’on vit dans la même chambre. Tout d’abord,
je me promène souvent en sous-vêtements alors que lui était toujours soit
habillé normalement soit en pyjama. Au bout de quelques jours, il a commencé à
faire comme moi. Va savoir pourquoi. La première différence est qu’il a un slip
et un maillot de corps blancs alors que j’ai toujours un caleçon ou un boxer et
un vrai tee-shirt. La deuxième est que je dors dans cette tenue alors que,
comme je le disais, il a un « vêtement de nuit » (donc pour se mettre
en sous-vêtements, il est obligé de se « changer » alors que, chez
moi, c’est plus, heu…, naturel). La troisième est que dès la fin du petit déjeuner
je mets un pantalon ou un short et je ne l’enlève (à part pour la douche) qu’au
moment de me coucher. Seul un type qui loge dans la même chambre que moi peut
me voir en petite tenue. C’est donc mon coloc et, parfois, une infirmière qui
vient déposer des médicaments ou la femme de ménage qui vient pendant le petit
déjeuner.
Donc voila, nous avons un type qui a commencé à trouver
normal de ne pas être totalement habillé. Par exemple, il rentre du sport et se
met en slip pour « se détendre ».
Le deuxième est qu’à force de me fréquenter, il est devenu
poli. Quand je suis arrivé, il ne disait jamais merci aux gens qui passaient
par là, déposer un plateau repas, faire des lits… Moi, j’ai toujours la bonne
formule, bonjour, merci, bonne journée… Il a commencé à faire pareil ce qui m’amusait
surtout que son vocabulaire manque d’entrainement. Par exemple, pour le petit
déjeuner, je demande un café au lait. Il demande un café noir et ajoute
systématiquement (réellement, hein, ça ne s’invente pas) : « et le
sucre vous pouvez le garder ».
Moi, j’ai vite compris que les plateaux étaient préparés à l’avance
avec une étiquette avec ce à quoi le patient à droit, selon son régime
alimentaire. Il y avait juste un bol vide rempli au moment du service. Il n’a
pas réussi à se mettre ça dans le crâne. Donc, le sucre est là. Point. Donc son
« et le sucre vous pouvez le garder » est totalement inutile (et
chiant, dans la pratique, il faudrait qu’elles l’enlèvent du plateau) et sonne
comme « et le sucre, vous pouvez vous le mettre au cul ».
Une dernière dans la même ligne : tous les midis, juste
après avoir servi le déjeuner, une aide-soignante passe pour demander si on
veut un café ou un thé. Ma réponse est généralement « oui, un café s’il
vous plait, sans sucre. » Lui : « non, mais je veux bien un jus
d’orange ». Ca a duré trois semaines : il n’a pas compris qu’on ne
distribuait pas de jus d’orange à 12h30.
Pendant ces trois semaines, je vous ai raconté certaines
anecdotes et vous aurez compris qu’il est exaspérant. Par exemple, il pisse toujours
debout la porte ouverte en visant le centre du bac, de manière à faire un
maximum de bruit. Le problème est qu’il y va toujours un peu après que le
déjeuner soit servi et que ma table est juste à côté de la porte. Je peux vous
dire que j’ai toujours eu l’écho en mangeant mes carottes râpées ! J’ajoute
qu’il commence toujours par tirer la chasse avant de pisser et recommence un
fois ou deux après. C’est horripilant. Une fois, il m’a engueulé parce que je
ne tirais pas toujours la chasse après avoir uriné (je plaide coupable, c’est
une vieille habitude que j’ai, dans « mes chiottes », pour éviter le
bruit et pour économiser l’eau). Une fois, il m’a expliqué que cela puait trop.
De la part d’un type qui a toujours de la bouffe qui provient de chez lui,
surtout des condiments, comme le vinaigre (ça pue, tout de même), ça m’avait
aussi exaspéré… Dès fois, dans la journée, il va vers les toilettes et ouvre la
porte, ou la ferme, ou les deux. Je n’ai pas compris. D’autres fois, c’est vers
la porte d’entrée de la chambre qu’il va. Il se met devant puis fait demi-tour.
Ou va dans le couloir et revient deux minutes après. J’ai bien une hypothèse (c’est
une solution pour se rapprocher de moi et voir ce que je fais mais, en fin de
compte, je me demande s’il n’est pas tout simplement fou).
Pendant les repas, j’ai souvent fini de manger avant qu’il
ait commencé à manger son plat. Certes, je mange vite… Mais il se lève
plusieurs fois, va jusqu’à la petite table où il range ses affaires et prend
quelque chose ou vient voir ce que j’ai dans mon assiette. Je ne sais pas. Ceux
qui me connaissent savent, par ailleurs, que j’aime bien faire la sieste dès la
fin du repas. Quand je mange seul, au restaurant, il m’arrive de faire un
roupillon, sur place. Dans la chambre, je ne peux pas : je ne supporte
plus ses petits bruits de mastication, ses odeurs… Il faut que je sorte et
aille fumer une cigarette et marcher un peu pendant un bon quart d’heure pour
oublier le laisser se calmer.
Quand on est dans des salles d’exercice (vélo, gymnastique,
musculation), il lui arrive d’entrer (on n’est pas dans le même groupe), de
faire un vague tour et de ressortir (je ne suis pas le seul que ça énerve…).
Vous comprenez le nombre de pages que je pourrais remplir.
Le fait qu’il pète souvent, par exemple (tout le monde pète mais on le fait
sans bruit… et sans odeur), y compris en pissant… Je ne l’ai jamais vu sortir
de la chambre avec une serviette pour aller prendre une douche. Je ne l’ai
jamais vu assez longtemps dans les toilettes pour chier. Je n’ai entendu qu’une
seule fois sa brosse à dents électrique (je m’en fous, je ne suis pas un
virtuose de l’hygiène dentaire, c’est presque amusant, c’est l’absence de bruit
qui me gênait…).
Enfin, il a un défaut avoué à l’avance, quant à lui. Toutes
les nuits, vers 4 ou 5 heures, il se réveille avec la bouche très sèche et est
obligé d’aller faire des gargarismes dans la salle de bain, pendant une dizaine
de minutes. Dès le premier jour, il avait présenté ses excuses et je dois avouer
que, au bout de deux bonnes semaines (sur trois), je m’étais habitués, ça ne me
dérangeait plus. Pourtant, il faut reconnaitre que c’est un bruit immonde. Dix
minutes de gargarimes…
Les trois premiers soirs, je lui ai demandé de couper sa
télé. La première fois à 22h30, le lendemain à 23h et encore plus tard le
troisième jour. Je lui ai expliqué que les changements de luminosité, dans la pièce,
m’empêchaient de dormir. Il n’a pas compris.
Terminons bientôt cette introduction et revenons aux
toilettes. Plusieurs fois par nuit, il se lève pour pisser. Il ouvre la porte
des toilettes, allume la lumière, ferme la porte (de nuit, j’ai dit, la journée
elle reste ouverte) et se met à l’ouvrage. Pour ma part, quand j’allais pisser,
je fermais la porte avant d’allumer…
Un mot pour les multiples conseils qu’il me donne. Comme
aller en salle de repos lire les plaquettes avec les conseils alimentaires (où
il est bien indiqué qu’il faut éviter tout complément alimentaire : je ne
suis pas sûr qu’il sache lire). Comme au sujet de mon addiction à l’iPhone (je
vais y revenir). Comme la nécessité de marcher « car le vélo qu’il nous
font faire ne sert à rien ». Comme la nécessité, pendant ce vélo, de ne
pas pédaler trop vite afin de ne pas augmenter le rythme cardiaque (je me
demande bien pourquoi on en fait…).
Ce matin, j’ai craqué deux fois, pour la première fois. Revenons
à hier. Je ne sais pas où je vous avais laissé et ce que j’avais raconté.
Toujours est-il qu’il avait fermé les volets pour faire la sieste après
déjeuner vu qu’il n’avait pas dormi pendant la nuit (me faisant endosser la
responsabilité alors que je m’étais endormi après 23h30 et réveillé par le
passage des infirmières à 6 heures, sans compter ses mictions). Je suis donc
aller faire ma pause dans une pièce « de repos » (d’où j’ai rédigé
mon billet de blog). Ensuite, comme tous les jours vers 16h30, je suis allé
dans le préau du bâtiment d’en face (là où j’avais discuté avec des visiteurs).
C’est le seul endroit abrité avec des bancs que je connaisse. J’y reste souvent
jusqu’à 18h, pour recevoir, ensuite, les infirmières (et ma piqûre !). Je bois
des boissons fraiches achetées au distributeur (de l’Orangina, s’il y en a).
Hier, à 16h45, il est sorti de ce bâtiment. Je ne sais ni ce
qu’il y foutait ni comment il y et entré (une porte de derrière ?). Je ne
vois qu’une seule solution : me surprendre ou m’espionner… Notre
séparation étant pour aujourd’hui, j’ai choisi d’ignorer.
Ce matin, il va pisser vers 6h. Lumière allumée. Nicolas
réveillé (pas grave, à l’hôpital, c’est un peu l’heure). Je décide au bout de
cinq minutes de passer aux toilettes en respectant mes habitudes (lumière allumée
uniquement lorsque la porte est fermée). Au moment où je rentre, il me dit
(pour la première fois) : « vous pouvez fermer la porte ? »
Je demande pourquoi. Il me répond que la VMC fait du bruit et que ça l’empêche
de dormir. J’ai alors répondu « mais vous avez décidé de me faire chier jusqu’au
bout ? »
Je ne sais pas s’il m’a entendu.
Plus tard, après le petit déjeuner, je sors mais je reviens
rapidement car j’avais oublié mon iPhone sur mon lit où il aurait pu être volé.
Je m’allonge donc et commence à jouer avec puis, pas à l’aise, je m’assois sur
le lit. Je ne sais pas pourquoi, il est venu voir ce que je faisais. Il a dit « Ah,
des jeux vidéos ». « Ben oui ». « Je me rappelle, j’ai eu
une vraie addiction, je vais vous raconter. » J’ai alors gueulé : « je
m’en fous ! ». Les addictions d’un pareil débile, je m’en carre
réellement.
Voilà, j’ai craqué…
Le pire est que quand je suis rentré du sport, vers midi, il
était allongé sur son lit avait des infirmières et le cardiologue autour. Il
avait fait une forte chute de tension. Je me suis mis à avoir peur qu’ils ne le
foutent pas dehors, comme prévu, mais qu’ils le gardent une semaine de plus.
Ils lui ont clairement fait comprendre que c’était hors de
question et tout le monde semble sûr que ce n’était qu’une comédie car il avait
peur de sortir…
En sortant, avec ma valise, j’ai croisé l’infirmière. Elle
me dit « ça va Monsieur Jégou ? » Je réponds que « oui mais
qu’on avait eu deux prises de tête le matin et que je n’en pouvais plus ».
Elle m’a dit « soyez tranquille, c’est maintenant terminé ».